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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/599

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chères la personne et les œuvres d’Alfîeri. Ne serait-ce pas le même motif qui lui fait entreprendre le voyage de Londres en 1791 ? « Je voulais voir, dit Alfieri, si je ne trouverais pas ailleurs un asile plus paisible et plus sûr. De son côté, mon amie désirait visiter l’Angleterre, le seul pays un peu libre qu’il y ait au monde. » Si tel est l’unique désir de la comtesse, on ne comprend pas qu’après six mois de séjour dans ce pays privilégié, les deux voyageurs s’empressent de revenir à Paris au moment même où la révolution devient de plus en plus menaçante, au moment où l’assemblée législative est à son poste et commence l’assaut de la vieille monarchie. Des intérêts pécuniaires à surveiller en France ne sont pas une suffisante explication. La comtesse d’Albany va visiter l’Angleterre par curiosité, par désir de s’instruire, et aussi, je n’en saurais douter, parce qu’elle cherche à étendre la célébrité de son poète, parce qu’elle veut continuer à Londres ce qu’elle a commencé à Paris. La tentative réussit peu, la société anglaise lui déplaît ; son voyage dès lors n’a plus de but, et sans tarder elle revient en France. Soyez sûr que si elle n’eût demandé à l’Angleterre qu’un refuge, au sein de la liberté, elle y fût demeurée plus longtemps, car cette liberté est précisément la seule chose qui lui ait paru digne d’éloge sur le sol de la Grande-Bretagne ; mais non, le goût des libres institutions anglaises n’occupait qu’une place très secondaire dans sa pensée : elle était tout entière à son amour pour Alfieri, elle s’efforçait d’idéaliser l’équivoque situation qu’elle avait prise » elle se préparait une royauté dans les domaines de la poésie, et, assurée par son rang des relations, les plus brillantes, elle voulait en faire profiter la gloire de l’homme sur qui reposait l’immortalité de son nom. N’oubliez pas qu’à cette époque même l’auteur de Marie Stuart compose cette autobiographie intitulée simplement Vie d’Alfieri, et dans laquelle la donna gentilissima, l’amata, l’adorata donna, est glorifiée avec une ardeur si chaste, et presque dans le langage des mystiques. La comtesse d’Albany eût voulu que l’auteur de ces pages réparatrices fût admiré de l’Europe entière.

Sans cette préoccupation, honorable et touchante à mon avis, puisqu’elle atteste une sorte d’inquiétude intérieure et un effort pour se relever, on ne s’expliquerait point certain épisode de son voyage en Angleterre, épisode très singulier, très inattendu, et dont Alfieri ne parle pas dans ses mémoires. Le 19 mai 1791, la comtesse d’Albany fut présentée au roi George III et à la reine Caroline. La veuve de Charles-Edouard offrant ses hommages au successeur de Guillaume d’Orange, au représentant de cette maison de Hanovre qui avait été si impitoyable en 1748 pour les amis du prétendant, c’était là un contraste qui devait causer une étrange surprise. « La