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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/725

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un plus grand effort. Les hommes doués d’imagination sont obligés à une contrainte volontaire bien plus grande que les hommes doués de facultés prudentes et réfléchies. Ils ne sont que trop portés à jouir paresseusement des plaisirs moraux que leur souveraine leur procure en abondance, à s’enchanter de leurs songes sans ressentir le besoin de leur donner un corps, à se disperser et à se dissoudre en rêveries infinies. On est d’autant plus obligé de faire appel à la volonté qu’on est par nature plus antipathique à l’action. C’est là le cas de M. Michelet, comme en général de tous les hommes dont l’imagination est la faculté dominante.

La volonté, je le sais, peut opérer bien des miracles ; mais il en est un qu’elle ne peut accomplir, et c’est justement celui qu’au dire de nos contradicteurs, elle aurait accompli dans la personne de M. Michelet. Oui, il est toujours possible d’acquérir du talent, quand on a le ferme propos d’en acquérir et qu’on travaille avec résolution et persévérance à faire triompher ce ferme propos ; mais on ne peut acquérir ainsi qu’un talent d’un certain ordre. L’être le moins doué, même le plus nul par nature, peut, s’il le veut fermement, devenir un érudit, un esprit judicieux, ferme, éclairé et même capable d’élévation et de noblesse. L’homme est réellement doué de la puissance de se créer certaines facultés et de se construire une intelligence, lorsque la nature lui en a refusé une. C’est un travail spirituel analogue à celui qui dans le monde physique a créé le sol de la Hollande et inventé les canaux pour la facilité de la navigation ; mais il est des dons sur lesquels la volonté n’a absolument aucune prise, et de ce nombre est l’imagination. Tous les efforts de la volonté seraient impuissans à créer la plus simple des images. Ni le temps, ni la patience, ni l’étude, ni la culture assidue n’y peuvent rien. L’analyse et la science peuvent bien diviser les images par groupes et par familles, comme la botanique fait des fleurs ; elles peuvent les étiqueter et nous donner à première vue le moyen de reconnaître lesquelles appartiennent à la grande tribu des métaphores, et lesquelles au genre de la catachrèse ; mais c’est en vérité tout ce qu’elles peuvent faire. Je sais que la culture littéraire et l’étude parviennent, à force de soins et d’observation patiente de la flore de l’âme humaine, à imiter et même à créer quelques-unes de ces fleurs, qu’il y a des procédés indiqués pour cette production artificielle ; mais ce sont des fleurs sans parfum et sans charme, et les hommes ne se laissent jamais prendre longtemps à cette illusion. On naît doué d’imagination, mais on n’acquiert jamais ce don, de même que, quoi qu’on fasse ou qu’on devienne, on ne le perd jamais. Il n’y a pas d’erreur, pas de vice, pas de fausse doctrine, pas de mauvaise direction imprimée au talent qui puisse vous en