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livre, mieux approprié que le premier à la tournure de son imagination.

Le livre s’ouvre très poétiquement par l’expression des sentimens de terreur et presque de colère qu’inspire la mer à celui qui la contemple pour la première fois, et dont certains animaux ne peuvent se défendre, même quand ils sont les habituels témoins de ce spectacle. Tels sont les chiens du Kamtchatka, ou ces chiens du Cap, maigres et affamés, qu’un poète contemporain a décrits, hurlant de concert avec les vagues. Toute la première partie est consacrée à la description de cette immensité vivante ; l’auteur s’efforce de faire comprendre le caractère particulier de cette existence qu’on ne peut nommer en bon français, et qu’un hégélien nommerait une personnalité inconditionnée, un devenir réalisé, où l’être s’exprime par la fermentation vivante, où le néant maintient ses droits par sa résistance à la détermination des formes. « Comme les animaux qu’elle nourrit, dit M. Michelet, la mer semble un grand animal arrêté au premier degré d’organisation. » N’est-ce pas un animal en effet, et n’a-t-elle pas à l’état vague et flottant tout ce qui constitue la vie ? Elle a une voix puissante qui ne se tait ni jour, ni nuit, nullement monotone, flexible, pleine d’intonations vibrantes et variées, tantôt violente comme un maître ou un tyran, tantôt flatteuse et caressante. Elle a une respiration, le flux et le reflux, — une circulation, les deux courans, comparables aux veines et aux artères, révélés par le lieutenant Maury ; elle a ses spasmes de douleur et de violence, ses passions, les tempêtes et les trombes ; elle a ses sympathies et ses antipathies, qui s’expriment par les marées, et qui s’adressent aux mondes errans dans l’espace, spécialement « à son chef, le soleil, et à la lune, qui, pour être sa servante, n’en a que plus de puissance sur elle. » Que manque-t-il donc à la mer pour être une personne ? Rien que le privilège que possède la plus frêle abeille ou le plus petit oiseau, la concentration de la vie sous une forme restreinte. La mer a une vie puissante, mais éparse, et le triomphe de la vie, c’est la concentration et l’intensité : c’est par là que le plus chétif animal l’emporte sur le plus redoutable élément, et l’homme sur la nature tout entière ; Toutes les découvertes récentes de la science moderne, depuis les deux courans du lieutenant Maury jusqu’aux marées secondaires de M. Chazalon, ont été dramatisées et poétisées par M. Michelet avec l’imagination que vous lui connaissez.

M. Michelet, qui abuse souvent de la manie de tout personnifier, a personnifié les phares. En vérité, nous n’osons pas trop lui en faire un reproche, car poétiquement les phares méritent cet honneur. On les dirait vivans en effet lorsque dans la brume épaisse des nuits on aperçoit sur les mers cette lumière protectrice et vacillante