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Pénétrés de cette idée, nous regrettons que M. Troplong se soit abandonné à d’anciennes réminiscences. Pourquoi voir le régime parlementaire dans la prétention qu’auraient les chambres de désigner les ministres au choix de la couronne ? Pourquoi évoquer la vieille métaphysique qui s’est épuisée sur la maxime : « le roi règne et ne gouverne pas ? » Cette maxime reposait sur le principe de l’irresponsabilité royale. Les événemens ont prouvé que cette maxime en France était une fiction, que c’étaient les rois qui chez nous étaient responsables et non les ministres. Le souverain actuel a renoncé à cette fiction, et il a posé avec éclat dans la constitution le principe contraire de la responsabilité du chef de l’état. Quant à nous, nous voyons précisément dans la reconnaissance, dans la revendication de cette responsabilité par le souverain, une nouvelle force ajoutée à l’assemblée élue par le peuple, à la chambre des députés. Comment entendre en effet la responsabilité du souverain ? Est-il possible de la définir, de la régulariser par une loi ? De 1830 à 1848, on a toujours attendu la loi organique gratuitement annoncée par la charte, et qui devait fixer la responsabilité ministérielle en lui donnant une sanction pénale. Cette loi était inutile : c’était aux votes des chambres que se mesurait pratiquement la responsabilité ministérielle. On ne songe évidemment aujourd’hui ni à préparer ni à demander une loi sur la responsabilité du souverain. Nous croirions faire injure aux auteurs et aux théoriciens de la constitution de 1852, si nous leur supposions la pensée de n’avoir prévu d’autre sanction à cette responsabilité que le cas extrême d’une révolution. Aujourd’hui pour le souverain, comme autrefois pour les ministres, la responsabilité raisonnable et pratique est dans le contrôle des chambres ou dans le recours au pays. Nous l’avons dit, il ne peut y avoir encore à cet égard qu’une discussion théorique ; mais, si le cas de conflit entre le pouvoir exécutif et l’assemblée législative venait à se présenter, n’est-il pas évident qu’un souverain honnête et sensé céderait ou au vœu manifesté des chambres, ou à la volonté de la nation consultée ? Pour n’avoir pas d’application actuelle, il s’en faut, suivant nous, que l’interprétation que nous donnons à la constitution étendue par le décret du 24 novembre soit indifférente et oiseuse. Cette interprétation nous paraît élever le caractère et la mission du corps législatif ; par là, elle tend à réveiller l’émulation politique dans le pays. Pourquoi se faire un monstre des conséquences d’un tel réveil ? Pourquoi évoquer le fantôme des ambitieux se disputant les portefeuilles dans les luttes des partis ? Il n’est pas certain que les ambitions les plus dangereuses qu’il y ait à redouter dans ce temps-ci soient les ambitions politiques, et il n’est pas douteux que ce sont les plus désintéressées. Les dépositaires du pouvoir ne semblent pas exposés aux vexations d’une concurrence bien vive. Chez un peuple dont on a beaucoup parlé dans ces derniers temps, chez les Américains, on sait le peu de faveur sociale qu’obtient la classe des politicians. Nous craignons que les mœurs en France n’inclinent au même dédain pour la profession