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politique ; nous connaissons trop de gens qui préfèrent au mandat de député une place dans le conseil d’administration d’un chemin de fer ou d’une institution de crédit. Nous sommes en train d’apprendre en ce temps-ci que la plus grande et la plus retentissante influence ; celle même que préfèrent la hauteur du talent et la dignité du caractère, se peut acquérir en dehors du pouvoir. L’ambition d’être ministre a cessé, depuis 1848, d’échauffer les têtes. Quand donc on ne se préoccuperait que d’un intérêt, le recrutement du personnel du pouvoir, il ne faudrait pas hésiter à attirer les talens et les ambitions dans les chambres, et à grandir pour cela les attributions et la puissance de nos assemblées.

Sur la question de la presse, nous serons peut-être moins éloignés qu’on ne le supposerait d’abord de l’honorable rapporteur. Ce n’est que par un côté que la question de la presse touche au sénatus-consulte soumis aux délibérations du sénat. Il s’agissait uniquement en effet du mode de réglementation de la publicité que les journaux pourront ou devront donner au compte-rendu des séances des assemblées. M. le président du sénat a émis, à la vérité, sur la presse moderne certaines considérations générales auxquelles nous ne saurions nous rallier. Ici encore nous avons rencontré des souvenirs historiques, suivant nous, assez peu opportuns. À quoi bon rappeler que nous avons la liberté des livres et des brochures, et que la presse, sous cette forme, a eu autrefois assez de puissance pour saper les sociétés et renverser les trônes ? À ce compte, nous ne voyons pas pourquoi on nous laisserait encore la liberté de publier des livres et des brochures, de nous servir d’une arme si efficace pour le mal. Ce qui est incontestable, c’est que livrés, brochures, journaux quotidiens, ont pu être employés comme instrumens dans les commotions politiques, mais n’ont jamais été les causes mêmes de ces ébranlemens. Il y a eu bien des révolutions dans le monde avant la découverte de l’imprimerie, de même que les peuples et les rois n’ont pas attendu, pour se dépouiller et s’entre-détruire, l’invention de la poudre et les canons rayés. Les journaux sont la forme moderne de la vulgarisation des faits et de la transmission de la pensée la mieux accommodée aux besoins de notre temps, dont elle a été la création naturelle et spontanée. Le journal est une forme, un instrument, un moyen, comme la machine à vapeur, comme le chemin de fer, comme le télégraphe électrique. Cet instrument ne trouve son application la plus puissante, la plus profitable au public, que dans la libre concurrence. Laissez agir cette concurrence, et vous verrez bientôt que le journal le plus populaire et le plus accrédité sera celui qui répondra le mieux aux intérêts et à l’esprit de la société, celui qui aura le mieux compris la loi de l’offre et de la demande, celui qui aura su se faire le véritable journal du public. Au lieu de cela, érigez les journaux en monopoles, faites-leur payer le privilège du monopole en restrictions politiques, et vous engourdissez un des plus énergiques ressorts de la vie nationale, vous altérez au détriment de votre pays et de vos contemporains un moyen d’é-