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prime cette situation renferme quelques beaux élans, et il est accompagné par un air de menuet qui ne manque pas de grâce. Enfin Ricardo est reconnu par Renato, qui le tue d’un coup de poignard, et le comte expire lentement sur la scène en déclarant l’innocence de la femme qu’il a aimée, mais dont il a toujours respecté l’honneur. Il y a encore quelques beaux accens dans cette scène finale.

Je pense avoir relevé avec soin tout ce qui m’a paru un peu saillant dans la nouvelle partition de M. Verdi : — au premier acte, le chœur de l’introduction, l’air de Ricardo avec chœur, l’air de baryton que chante Renato et la jolie ballade du page ; à l’acte suivant, le trio entre la devineresse Elrica, Adelia et Ricardo, la chanson de Ricardo, Di’tu se fedele, et le beau quintette qui suit ; au troisième acte, l’air pathétique de soprano que chante Adelia, le duetto pour soprano et ténor, et le trio entre Adelia, Ricardo et Renato ; au quatrième acte, le bel air de baryton, le quintette de l’invitation au bal, la romance du page, le duo entre Adelia et Ricardo, et la scène finale, qui pourrait être plus saisissante.

Le caractère général de la musique d’ un Ballo in maschera diffère en beaucoup de points de celui qui a fait le succès des opéras connus de M. Verdi. Il est évident que le maître s’est préoccupé de modifier sa manière, et qu’il a essayé de donner à son style brusque, hardi et violent une tenue plus modérée, plus de variété et de souplesse dans l’aménagement des effets qui lui sont propres. L’orchestre particulièrement est traité avec plus de soin. On y sent le désir de fondre les couleurs extrêmes dans un discours plus soutenu et de rattacher les instrumens à vent, — surtout les instrumens en cuivre, dont M. Verdi fait un si grand abus, — aux instrumens à cordes, qui sont le fondement de toute bonne orchestration, par des couleurs intermédiaires et adoucissantes. Si le maître ne réussit pas toujours à accomplir le dessein qu’il se propose, il atteint quelquefois son but, et cela suffit pour constater le désir de mieux faire et pour donner au nouvel ouvrage de l’auteur d’Ernani et d’Il Trovatore un intérêt tout particulier. Cette heureuse modification dans la manière d’écrire de M. Verdi se révèle encore par des essais de marches harmoniques opérées par les basses, par une harmonie moins remplie d’unissons, mais avant tout par la création d’un caractère qui est entièrement nouveau dans l’œuvre de M. Verdi : nous voulons parler du jeune page Edgar. Tout ce que chante cet agréable adolescent est plein de grâce et de fraîcheur. C’est comme un rayon furtif de gaieté qui vient adoucir la figure sévère et effleurer les lèvres frémissantes du compositeur lombard, cet Espagnolet de la musique.

L’exécution d’un Ballo in maschera n’est pas tout à fait ce qu’elle devrait être au Théâtre-Italien. M. Mario est visiblement insuffisant pour le rôle important du comte Ricardo, et les défaillances de son organe enlèvent à cette partie saillante de l’opéra nouveau l’éclat qu’elle devrait avoir. Mlle Battu se tire avec esprit et gentillesse du rôle du page, qui lui est confié, et Mme Penco chante avec énergie les différens morceaux du personnage d’Adelia ; mais c’est surtout M. Graziani qui produit le meilleur effet dans le rôle de Renato, et qui chante le bel air du quatrième acte,

O dolcezze perdute,