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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/765

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REVUE. — CHRONIQUE.

voué du comte, qu’il vient avertir de la conspiration qui menace ses jours. Il fait toujours nuit, et Renato n’ignore pas que Ricardo est avec une femme, sans se douter pourtant que cette femme est la sienne. De cette situation naît un trio, pour soprano, ténor et baryton, très passionné et qui renferme de beaux effets d’unisson qui sont bien dans la manière connue de M. Verdi. Poussé par les prières d’Adelia et les exhortations de Renato, Ricardo s’est enfui. Adelia, le visage couvert d’un voile, reste seule avec Renato, qu’elle a reconnu, tandis que lui ignore toujours quelle est cette femme que le comte a confiée à son amitié. Lorsque les conspirateurs arrivent tous enveloppés d’un manteau pour tuer Ricardo, ils trouvent Renato, qui défend au péril de sa vie la femme mystérieuse qui est la maîtresse de son ami. C’est alors qu’il reconnaît Adelia, sa propre femme ! Cette situation violente est rendue par un quatuor avec chœur où les conspirateurs se moquent de la mésaventure maritale de Renato, pendant que celui-ci et Adelia poussent des cris de douleur. Les ricanemens des conspirateurs ont paru au public de Paris d’un comique équivoque, et l’effet de ce morceau n’est pas heureux. Le quatrième acte renferme un très bel air pour voix de baryton, dans lequel Renato exprime la douleur qu’il éprouve de se voir trahi à la fois par sa femme et par son ami. La première partie de cet air, qui est dans un mouvement lent, est accompagnée par un dessin de basse continue qui a de la noblesse ; mais la phrase mélodique de quelques mesures qui en forme le complément est d’un effet, délicieux, chantée surtout par M. Graziani :

O dolcezze perdute.


Ce passage plein de mélancolie et de tendresse, où Renato fait un retour sur son bonheur passé, est accompagné par deux flûtes dont les doux soupirs se combinent heureusement avec les sons de la harpe. Ce n’est pas la première fois que M. Verdi tempère la violence habituelle de son style par des échappées de lumière d’une grâce élégiaque. Au trio pour trois voix d’homme où Renato s’engage à prendre part à la conspiration ourdie contre Ricardo succède un joli quintette : c’est le page Edgar qui vient inviter Renato et ses amis au bal que va donner son maître. Il se met alors à décrire la pompe de la fête à laquelle il aura le plaisir d’assister :

Che fulgor, che musiche
Esulteran le soglie.


La phrase qui rend le sens de ces paroles est piquante, et Mlle Battu s’y fait justement applaudir. Le morceau se développe avec entrain et légèreté. Je ne dis rien de la romance que chante Ricardo pour signaler la jolie chanson que dit encore le page au milieu du bal où il est poursuivi par Renato :

Saper voreste
Di che si veste.

« Vous voudriez bien savoir, dit-il, sous quel déguisement mon maître assiste à la fête ? » Et il s’échappe par un éclat de rire plein de fraîcheur et d’heureuse insouciance. Au milieu de la foule des masques, parmi lesquels se trouvent les conspirateurs, Ricardo rencontre et reconnaît Adelia, qui lui dit d’une voix tremblante : « Sauve-toi, ou tu es perdu ! » Le duo qui ex-