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groupé méthodiquement toutes les informations qui se rapportent aux finances, à l’agriculture, au commerce, à l’industrie, aux institutions charitables ; il a comparé, quand il l’a pu, les chiffres français avec les chiffres fournis par les documens étrangers. C’est un immense travail de recherches, qui a sans doute coûté bien des veilles. Il y a là de quoi désarmer les esprits les plus prévenus à l’endroit de la statistique, et quand on a pu surmonter le premier sentiment d’effroi qu’inspire la vue de tant de chiffres entassés, on arrive à trouver quelque intérêt dans cette étude aride et à discerner la lumière, qui, voilée le plus souvent par les moyennes, apparaît quelquefois resplendissante dans les totaux. Un tel livre ne s’analyse pas, mais il fournit l’occasion de considérer de plus près les principaux faits qui s’accomplissent dans notre organisation sociale et économique, de relever les progrès ou le ralentissement de la prospérité générale, en un mot de rechercher, à travers les chiffres, l’influence heureuse ou funeste de la politique ou de la législation. On doit se défier de la statistique quand elle est faite en vue d’appuyer une thèse ou un système, car chacun sait, par expérience, combien, avec ses apparences rigoureuses, elle se montre docile, flexible et accommodante pour l’esprit de parti ; mais elle mérite plus de confiance quand elle se présente seule, dégagée de commentaires, à peu près nue, comme il convient à la vérité. C’est ainsi qu’elle se produit dans l’ouvrage qui est sous nos yeux ; elle ne porte point de voilés que nous soyons obligés de déchirer.

Il est assez difficile de s’orienter dans cette forêt de chiffres ! Écrire la statistique générale de la France, c’est recueillir dans l’amas poudreux de nos annales administratives tous les chiffres qui se rapportent à d’innombrables séries de faits, c’est extraire la quintessence de ces milliers d’in-quarto de toutes couleurs qui sont sortis depuis plusieurs années des presses officielles. On ne prodiguait pas ainsi les documens sous le premier empire. L’empereur Napoléon, qui cependant a fait à la statistique l’honneur d’une bonne et juste définition en l’appelant le budget des choses, n’en usait qu’avec une grande sobriété. Après lui, sous le gouvernement constitutionnel, lorsque les assemblées législatives voulurent qu’on leur rendît compte des affaires du pays, la mode anglaise des blue-books périodiques pénétra peu à peu dans chaque ministère. Les députés demandaient la lumière, on les éblouit par des chiffres au point de les aveugler. La statistique coula à pleins bords, et la France ne tarda pas à égaler l’Angleterre pour ce genre de littérature parlementaire, qui fournissait aux mécontens comme aux satisfaits d’inépuisables sujets d’argumentation. Quoi qu’il en soit, grâce à ce flot toujours grossi et plus ou moins limpide des publications officielles, grâce au zèle compilateur de quelques spécialistes, qui s’adonnèrent à la statistique