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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/787

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compare à tout ce que je connais, et plus la grâce et le mouvement toujours nouveau de son esprit, me frappent et me confondent. Ce n’est pas la génération présente ni l’éducation de nos jours qui donneront un homme semblable. Nous passons la plus grande partie de cet été ensemble à Coppet, avec Mme de Staël, M. Constant et M. Schlegel. Nous y avons souvent des visites dignes d’une telle société, et nous y oublions doucement le beau ciel de l’Italie. Cependant et les uns et les autres ; nous comptons y retourner un jour, et tous ceux qui vous ont connue, madame, mettent au premier rang, parmi leurs motifs pour revoir Florence, le désir de vous y retrouver. »


Et trois années après, admirant cette âme perpétuellement jeune, cette âme si vive, si alerte, à qui les plus cruels malheurs domestiques, bien que sincèrement et douloureusement sentis, n’enlèvent pas sa sérénité lumineuse, il signalait chez cet enfant de la Suisse une imagination toute méridionale.


« Vous avez bien raison, M. de Bonstetten porte la vie légèrement. Il semble que la douleur ne puisse pas l’atteindre, quoiqu’il la connaisse et qu’il la peigne quelquefois admirablement. Il est singulier qu’un homme comme lui soit né à Berne, il a tout le caractère d’un homme du midi, l’imagination est le fond de son être ; c’est par elle qu’il est sensible et par elle qu’il est consolé. Ces hommes du midi, gardons-nous désormais d’en dire et d’en penser du mal. L’imagination, quand elle exalte pour eux le sentiment de l’honneur pu de la honte, quand elle leur fait tout sacrifier pour une cause dont nous soupçonnions a peine l’existence, les relève au-dessus de notre siècle, et venge par eux la nature humaine, dégradée dans tout ce qui nous entoure. »


À quoi se rapportent ces dernières paroles ? On l’a deviné sans peine : au soulèvement de l’Espagne contre Napoléon. Il serait surprenant en effet que la politique ne tînt pas une grande place dans cette correspondance, si l’on songe que c’est Sismondi qui parle, et que la personne à laquelle il s’adresse est l’amie d’Alfieri. En 1809, au moment où les grandes guerres vont recommencer, Sismondi, qui désire la paix en philosophe dévoué aux libertés publiques, confie à Mme d’Albany ses douleurs et ses craintes. C’est le disciple d’Adam Smith, c’est l’économiste libéral qui se montre à nous dans ces lettres ; on y voit aussi quels sentimens animaient alors les hôtes de Mme de Staël, et ce n’est pas une chose indifférente d’entendre l’écho des conversations de Coppet répété par le salon de Florence. En même temps, les lettres sérieuses, les ouvrages nouveaux, les tentatives poétiques de Benjamin Constant, les études de Mme de Staël sur la littérature allemande, le grand travail qu’elle prépare sur le pays de Kant et de Schiller, ce travail que Sismondi annonce avec enthousiasme comme le chef-d’œuvre de son illustre amie, tout