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(car l’empereur lui avait donné une loge au théâtre des Tuileries, et elle y vit Talma plus d’une fois), il faut placer au premier rang l’aimable et spirituelle Mme de Souza, l’auteur charmant d’Adèle de Sénange, de Charles et Marie, d’Eugène de Rothelin, d’Eugénie et Mathilde. Un peu plus jeune que Mme d’Albany, mais issue comme elle de cette société du XVIIIe siècle qui disparaissait tous les jours, lettrée, sensible, romanesque, elle charma la comtesse comme une apparition des jours heureux. Elles se lièrent bientôt d’une amitié qu’aucun nuage ne voila jamais. La bibliothèque du musée Fabre possède une soixantaine de lettres adressées à Mme d’Albany par Mme de Souza, lettres trop simples, trop familières, trop intimes le plus souvent, pour que j’en puisse détacher autre chose qu’un petit nombre de lignes, mais qui dans leur familiarité gracieuse, dans leur négligent abandon, révèlent le cœur le plus affectueux et le plus pur. Mme de Souza ne tarit point sur la bonté, l’indulgence, la parfaite charité mondaine de la royale comtesse ; c’est elle surtout qui est bonne, dévouée, et qui, dans sa discrétion accomplie, semble toute surprise par instans du charme qu’elle exerce. Ces lettres embrassent environ une douzaine d’années ; les fines observations n’y manquent pas, non plus que les esquisses de mœurs tracées au courant de la plume ; ce qui y brille avant tout, c’est le prestige de la bonté. Une telle correspondance est un des meilleurs titres qu’on puisse invoquer en faveur du caractère et du cœur de Mme d’Albany.

C’est aussi pendant ce séjour forcé dans la capitale de l’empire que Mme d’Albany renoua connaissance avec M. Bertin l’aîné. M. Bertin, que la comtesse avait déjà vu à Florence, entretenait des relations fort amicales avec M. Fabre ; il lui avait acheté plusieurs tableaux, entre autres une grande composition, le Jugement de Paris, qui fut exposée en 1808 et fort discutée par la critique du temps. David et Girodet, qui virent l’œuvre de Fabre chez M. Bertin avant l’exposition, en parurent sincèrement satisfaits : «… Hier matin, j’ai appelé votre maître. Il est enchanté et me charge de vous faire ses complimens. Girodet sort à l’instant de chez moi. Son avis est le mien. Tous deux pensent que ce tableau vous fera le plus grand honneur au salon… Votre maître est particulièrement frappé de la beauté du groupe de Paris, de Vénus et de l’Amour… Il est resté une heure à examiner, et en jugeant l’ouvrage avec la plus grande sévérité (ce sont ses termes), il n’a vu à reprendre que la draperie du bras droit de Pallas et la draperie rouge de Junon… Je sais du reste qu’il a professé la plus sincère admiration pour votre bel ouvrage, et cela ailleurs que chez moi. J’espère que vous êtes persuadé, mon cher ami, que ces éloges m’ont fait presque autant de plaisir qu’ils devront vous en faire, et que ce n’est pas seulement comme propriétaire du tableau que je suis content. » La collection