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de colère, est un projet arrêté et mûri depuis dix-huit mois, et qu’elle n’exécute que huit ou dix mois après les dernières vexations qu’elle a éprouvées, il me semble qu’on ne peut lui refuser l’admiration qu’on doit à l’héroïsme, et que toutes les âmes élevées l’accompagneront de leurs vœux. »


« Pescia, 5 septembre 1812.

« … Je voulais, pour vous écrire, madame, avoir quelque chose à vous annoncer de mon amie ; mais les nouvelles m’en parviennent d’une manière si lente et si irrégulière, que je doute si elles peuvent intéresser les autres comme elles m’intéressent toujours : les dernières lettres qu’on ait eues d’elle sont du 16 et 18 juillet, de Radziwillow, à quelques lieues de Brodi, et après qu’elle avait déjà passé la frontière de la Galicie pour entrer en Russie. De là elle se dirigeait sur Moscou, où elle doit être arrivée le 1er août, et le 10 août à Pétersbourg. Les dangers pour elle étaient finis ; elle ne devait plus rencontrer sur sa route ni armée ni corps insurgés, et sa détermination était bien précise de ne point s’arrêter en Russie, mais de se rendre immédiatement à Stockholm, où j’espère qu’elle est à présent. En même temps elle paraissait résolue à passer au moins tout l’hiver prochain en Suède, à y faire entrer au service le fils qu’elle conduit avec elle, et à y profiter de tous les droits qu’elle a pour trouver non-seulement un asile, mais une patrie dans la patrie de son mari et de ses enfans. Elle chargeait ses amis de déclarer d’une manière positive qu’elle n’irait point en Angleterre ; il faut voir cependant comment elle s’y trouvera, et quel effet un climat si rude fera sur sa santé et sur celle de sa fille. Toutes les lettres que je reçois du pays qu’elle a quitté me parlent de la tristesse profonde, de la mort de cette société qu’elle rendait si animée et si brillante. Je suis effrayé moi-même du changement que j’y trouverai à mon retour, et, selon toute apparence, je ne tarderai pas à m’éloigner de nouveau d’un lieu si plein de tristes souvenirs. »


« Genève, 15 décembre 1812.

« … J’ai trouvé ici des lettres de Stockholm, et de la mère et de la fille, pleines de tendresse et d’expressions de regrets pour leurs amis, mais en même temps du sentiment qu’elles sont désormais à leur place, qu’elles sont rentrées dans leur dignité, dans leur liberté, que l’accueil flatteur qu’on leur fait, que l’intérêt vif qu’on leur témoigne doit remplacer pour elles ce qu’elles ont perdue Ici j’ai trouvé le fils abattu et découragé. Sa situation est entièrement changée : il a passé de ce mouvement continuel, de ce festin somptueux de l’esprit, à la plus triste solitude. Que le monde est triste ! Qu’il y a de douleurs pour tous ! qu’il y en a dans ces choses qu’on peut dire, qu’il y en a dans celles dont il faut se taire ! »


Au moment où des émotions si vives agitaient les hôtes de Coppet, Mme d’Albany venait de visiter Rome et Naples. Elle était partie de Florence avec Fabre le 28 octobre 1811, et, arrivée le 21 à Rome, elle y avait passé une partie de l’hiver. Ses notes sur la ville éternelle ne contiennent guère que des appréciations, fort sévères en général, des artistes et de leurs œuvres. Landi, Granet, Angelica