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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/832

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l’univers ne fut plus l’objet sur lequel s’exerce la raison, et la raison ne fut plus l’homme cherchant à comprendre l’univers : l’univers devint lui-même raison [1].

Le monde de Schelling avait un défaut : il était raisonnable, mais il ne pensait pas ; il était esprit, mais il était mort. Cet absolu que nous donnait l’intuition intellectuelle restait vague, abstrait, inerte, inorganique. De là vient aussi que le système se présentait sous une forme toute dogmatique : il lui manquait cette preuve qui consiste dans l’organisation même, dans le mouvement, dans la vie. Schelling, en poète qu’il était, ne s’était guère embarrassé de la méthode. Or la méthode est l’âme d’une philosophie. Hegel aperçut assez vite quel était le point vulnérable des idées de son ancien condisciple de Tubingue. De même que, tout en s’appropriant la rigueur scientifique de Kant, il éprouvait, lui, l’homme de la réalité et de la substance, une vive répugnance pour le monde problématique et déshérité que lui laissait le philosophe de Kœnigsberg, de même il éprouva, lui, l’homme du labeur honnête, une répugnance non moins vive pour les fantaisies brillantes et faciles de Schelling. L’œuvre de Hegel revient proprement à ceci, qu’il a donné une méthode à la philosophie de l’identité ; mais il faut ajouter, je le répète, que la méthode en philosophie, c’est la philosophie même, et que les idées de Schelling n’ont commencé à se tenir debout et à vivre qu’après avoir été transformées par Hegel. Kant avait été essentiellement critiqué, Schelling avait substitué l’intuition à la réflexion ; Hegel proposa une nouvelle méthode, qu’il appela spéculative, et qui consistait à unir la sévérité du procédé critique à la puissance du procédé poétique, à comprendre véritablement les choses en empruntant leur substance pour leur prêter notre conscience, à nous perdre en elles afin qu’elles se retrouvassent en nous.


III

Nous voici arrivés à Hegel. Il s’agit maintenant, je ne le cache pas, de gravir avec lui les sommets les plus ardus de la pensée. Peut-être le meilleur moyen d’y parvenir sera-t-il de nous élever graduellement, et comme d’étage en étage, d’abstraction en abstraction, jusqu’à cette dernière cime où les idées, raréfiées à l’excès, menacent d’abandonner l’intelligence dans le vide.

Commençons par la notion même de la philosophie. À mesure que les objets tombent sous nos sens, nous en recevons une impression, et par suite nous en obtenons une connaissance ; mais la connaissance

  1. Le système de Schelling, à l’époque de sa vie que j’ai ici en vue, peut se formuler ainsi : l’absolu est l’indifférence ou l’identité du sujet et de l’objet ; le principe identique de cette opposition, l’absolu, est idéal, c’est la raison ; enfin l’absolu est saisi par la contemplation intellectuelle.