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même que l’on éprouverait quelque défiance à l’endroit de ces chiffres, qui évidemment ne sauraient prétendre à une exactitude absolue, on serait forcé de reconnaître que la physionomie agricole de la France est bien différente de celle qu’a décrite Arthur Young à la fin du dernier siècle, et il n’est pas besoin de remonter au-delà d’une vingtaine d’années pour remarquer le contraste favorable que présente, sous le rapport du bien-être, la population de nos campagnes, si on la compare avec la génération qui l’a précédée.

Quant au prix de revient de l’hectolitre de froment, c’est la pierre philosophale de la statistique agricole. En analysant les témoignages qui ont été entendus lors de l’enquête ouverte en 1859 sur la législation des céréales, M. Block arrive à déterminer un prix moyen de 17 fr. 50 cent. ; mais, il se hâte de le déclarer lui-même, cette évaluation ne repose point sur des calculs suffisamment rigoureux, et ce n’est point ici le cas d’employer le procédé des moyennes, si cher aux statisticiens. L’agriculteur qui ne peut abaisser au-dessous de 20 fr. son prix de revient sera médiocrement consolé d’apprendre que dans une région plus favorisée ses confrères sont en mesure de produire le blé à des conditions moins coûteuses, et il ne concevrait pas que l’on adoptât comme base de discussion dans l’étude d’un impôt le prix moyen qui pour lui serait tout à fait ruineux. La statistique est moins trompeuse lorsqu’elle relève les prix de vente qui sont officiellement constatés en vue de l’application des droits de douane. Si l’on retranche des calculs la période décennale 1810-19, qui a été presque entièrement remplie par de mauvaises récoltes et pendant laquelle le prix de vente a atteint en moyenne près de 25 fr. par hectolitre, on observe que depuis le commencement de ce siècle la valeur vénale du froment s’est accrue peu à peu par une progression constante, de telle sorte que, de 20 fr. 34 cent, pour la période 1800-1809, le prix s’est élevé à 22 fr. 27 cent, pour la période 1850-1858. La hausse incontestable du prix de vente n’est que l’expression d’une hausse à peu près égale du prix de revient. Le même fait s’est révélé pour les différentes branches de la production ; le renchérissement a été général. Le prix de la terre s’est élevé ainsi que le taux de la main-d’œuvre, et c’est ici que l’étude de la statistique agricole se rattache par un lien étroit à la statistique de la population. Le développement de l’industrie manufacturière, la hausse du salaire dans les villes, l’émigration des habitans des campagnes, tous ces faits ont réagi sur la main-d’œuvre agricole en rendant celle-ci plus rare et plus coûteuse. Nous avons dit comment on peut essayer de combattre ou plutôt d’enrayer ce mouvement de hausse en améliorant les procédés de production ; quoi que l’on fasse, on se retrouvera toujours en présence d’un