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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/856

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hypothèse, et toute hypothèse s’use contre la réalité. Elle ne se superpose jamais exactement aux faits, et il faut bien que le désaccord finisse par se trahir. Tôt ou tard les hommes s’aperçoivent que la solution proposée ne résout point toutes les questions, ne satisfait pas à tous les besoins : on la délaisse alors, quitte à recourir à une autre explication. — Est-ce à dire qu’il ne reste rien de la première ? Loin de là. Il serait plus juste de la comparer à la semence dont parle l’Évangile, et qui ne fructifie qu’à la condition de mourir. Comme la cloche qu’a chantée Schiller, elle ne vient au jour si sa forme ne tombe en morceaux. Je l’ai déjà dit, toute philosophie digne de ce nom se compose de deux parties, l’une transitoire, l’autre éternelle, en vivant elle se développe, et en se développant elle se transforme, c’est-à-dire qu’elle abandonne d’elle-même ses élémens inférieurs pour en dégager un petit nombre de vérités dont s’accroît le grand patrimoine de l’humanité. Cette transformation, c’est sa mort, c’est aussi sa résurrection. Seulement, tandis que son esprit est absorbé par l’esprit universel, ce qui reste d’elle sur la terre n’est qu’un squelette desséché et grimaçant. Tout cela est arrivé à l’hégélianisme. Comme doctrine, il a fait son temps ; comme système, il n’existe plus qu’à l’état de formule stérile, de ritournelle dialectique. C’est le gobelet du prestidigitateur sous lequel on retrouve ce qu’on y a caché, et rien de plus. La réalité lui a été sévère. Il a été mis à l’épreuve, et il n’a pas résisté. De quelles promesses » il avait séduit l’âme humaine, et qu’il les a mal tenues ! Oui, il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que la philosophie ne saurait en expliquer, fût-ce la philosophie de l’absolu. Les questions restent debout devant nous, toujours aussi obscures et aussi menaçantes, et nous, pour les résoudre, nous avons l’espérance de moins et le découragement de plus. Hegel nous apportait l’infini dans une formule, mais l’infini qui se formule n’est pas l’infini. Il n’y a qu’un infini, celui de nos désirs et de nos aspirations, celui de nos besoins et de nos efforts, l’infini de la vérité, de la liberté, de la perfection. Ah ! nous satisfaire, ce serait nous limiter. Il est heureux que vous ne le puissiez pas.

Mais si l’hégélianisme s’est usé dans les esprits par un effet du mouvement continuel des choses et de son propre développement, il n’en est pas moins vrai qu’il a laissé au monde plusieurs idées dont on risque d’oublier l’origine, précisément parce qu’elles ont passé dans la substance de l’esprit moderne. Essayons de les découvrir en nous plaçant de nouveau en présence du système, non plus pour en étudier le mécanisme, mais au contraire pour chercher sous l’enveloppe scolastique la pensée vivante et éternelle.

Il y a, je ne veux pas le nier, quelque chose d’étrangement paradoxal dans la conception d’une idée qui est à la fois l’idée et le