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Ce n’est pas que nous soyons riches, mais nous sommes honnêtes ; entre midi et une heure, nous ne savons pas refuser nos amis. On voulait enfin, dans l’humeur de faire des présens, proposer aux états d’envoyer 40,000 écus à Mme de Grignait ; gouvernante de Provence, et M. de Chaulnes soutenait qu’on écouterait la proposition. D’Harrouis s’embarquait à payer 100,000 francs, plus qu’il n’avait de fonds et trouvait que cela ne valait pas la peine d’en parler. Un Bas-Breton me dit qu’il avait pensé que les états allaient mourir de les voir ainsi faire leur testament et donner leur bien à tout le monde[1]. »

En voyant les états déployer un tempérament aussi débonnaire et une libéralité aussi illimitée, il n’y a guère à s’étonner si la monarchie considéra la Bretagne comme rentrée dans le droit commun du royaume. Lors donc que la guerre de Hollande, en soulevant l’opinion de l’Europe contre Louis XIV, eut fait éprouver à son gouvernement ses premiers embarras financiers, celui-ci trouva naturel détendre à cette province la perception des plus productifs entre tous les impôts ; ceux du timbre, du tabac et de la marque sur la vaisselle d’étain. Au commencement de 1675, on était encore séparé par un espace de dix-huit mois de la réunion périodique des états afin de procurer au roi des ressources immédiates, un arrêt du conseil rendit la perception provisoire de ces trois contributions obligatoire en Bretagne en escomptant le consentement des états, dont on se tint, et non sans raison, pour assuré, car on l’obtint plus facilement que celui des populations elles-mêmes. Les bureaux de timbre étaient en, effet à peine installés dans les principales villes de la province que l’émeute les rasait, menaçant de faire un mauvais parti aux employés du fisc et aux soldats préposés à leur défense. La ville de Nantes fut un moment au pouvoir d’une insurrection fomentée par une poissarde, et la vie de l’évêque, prisonnier de l’émeute, répondit au peuple de celle des principaux agitateurs. M. de Chaumes dut quitter Rennes pour s’enfermer dans Port-Louis, laissant la duchesse en butte à cette haine universelle dont il est à regretter que Mme de Sévigné ait ignoré certaines conséquences populaires, triste prélude des sanglantes expiations sur lesquelles son esprit s’est déployé avec si peu d’à-propos[2].

  1. Lettres de Mme de Sévigné, juillet 1673 à novembre 1675.
  2. « Pendant que la duchesse de Chaulnes traversait dans son carrosse le faubourg de la rue Haute, une troupe de peuple entoure sa voiture et l’empêche d’avancer. La duchesse surprise met la tête à la portière et demande ce que cela signifie et ce que l’on désire. « Nous venons, madame, vous demander une grâce, lui répondent les personnes les plus’ voisines ; nous venons vous prier de vouloir bien nommer un enfant. — Bien volontiers, » répond la duchesse, qui aussitôt ouvre sa portière. Et immédiatement une puante charogne de chat pourri, lancée du milieu du groupe par une main vigoureuse, vient tomber sur les genoux de Mme de Chaulnes. « Tïens, vilaine bossue, voilà l’enfant qu’on veut te donner à nommer : le voilà ! » à la vue de cette insolence, les gens de la duchesse se mettent en posture de la défendre contre de nouvelles insultes ; la populace s’imagine qu’on va l’attaquer, et un coup de fusil parti de ses rangs va briser l’épaule du page de Mme de Chaulnes. » La Révolte du papier timbré, advenue en Bretagne en 1678, par M. A. de La Borderie.