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ordre, à la tête desquels sont toujours les présidens de l’église et de la noblesse, que la demande du roi a été accordée le gouverneur en fait aussitôt part à la cour. Le troisième jour, les états nomment les commissions pour vider les différentes affaires qui se présentent ; mais quoiqu’elles ne regardent que les intérêts des états, il est d’usage d’en informer les commissaires du roi ainsi que des résolutions qui sont prises[1]. »

Lorsque sa constitution n’était plus qu’une parodie, la Bretagne n’avait pas trop à se plaindre ; si une femme spirituelle traçait avec une verve charmante le tableau de ses faiblesses. Dans l’esquisse de ses mœurs politiques sous le gouvernement du duc de Chaumes, M de Sévigné est presque toujours demeurée dans la vérité. La force des choses me conduit donc à reproduire ici les témoignages du seul historiographe de ses états, devenu quelques mois plus tard le témoin presque souriant de ses malheurs : « Une infinité de présens, des pensions, quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie, voilà les états… J’oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu’on y boit. Aussi tous les pavés de Vitré semblent métamorphosés en gentilshommes. On voit arriver en foule au vaste banquet riches et pauvres députés, M. le premier président, les procureurs et avocats-généraux du parlement, huit évêques, cinquante Bas-Bretons dorés jusqu’aux yeux, cent communautés, etc. ; je ne crois pas qu’il y ait une province assemblée qui ait un aussi grand air, que celle-ci… Toute la Bretagne était ivre aujourd’hui ; quarante gentilshommes avaient diné en bas et avaient porté quarante santés, celle du roi avait été la première, et tous les verres cassés après l’avoir bue… Sa majesté en effet a écrit de sa propre main des bontés infinies pour sa bonne province de Bretagne. Les états ne doivent pas être longs, il n’y a qu’à demander ce que veut le roi ; on ne dit pas un mot, voilà qui est fait… Votre présent est déjà fait ; on a demandé trois millions, nous avons offert sans chicaner 2,500,000 liv. ; Pour le gouverneur, il trouve, je ne sais pas comment, plus de 40,000 écus qui lui reviennent ; M. de Lavandin aura 80,000 francs, M. de Molac 2,000 pistoles, M. de Boucherat, le premier-président, le lieutenant du roi, autant, le reste des officiers à proportion. Il faut croire qu’il passe autant de vin dans le corps des Bretons que d’eau sous les ponts, puisque c’est là-dessus qu’on prend l’infinité d’argent qui se donne à tous les états. Le jour de la signature, on ajouta 2,000 louis d’or à Mme de Chaulnes et beaucoup d’autres présens.

  1. Mémoire de M. de Nointel, dans l'État de la France publié par le comte de Boulainvilliers, t. V.