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sire, de rendre à cette province la forme essentielle de son gouvernement en rassemblant ses états. Vos sujets, jaloux de signaler leur zèle, ne peuvent souffrir que votre majesté cherche, par des voies inouïes jusqu’ici, les secours qu’elle trouvera toujours dans le désir inépuisable qu’ils ont de lui obéir. »

Les députés bretons furent bien accueillis par le régent, esprit libre et fort peu enclin à la violence. Sur leur engagement d’honneur que l’autorité royale obtiendrait une sorte de satisfaction par un premier vote spontané, ordre fut envoyé au maréchal de Montesquiou de rouvrir les états ; mais, en lui notifiant les volontés du prince, les instructions ministérielles, inspirées par une haine aveugle des résistances même les plus légitimes, y ajoutèrent un commentaire dont l’esprit court du commandant ne tarda point à faire la plus dangereuse application. Les états, réunis de nouveau à Dinan en juillet 1748, ouvrirent en effet leur session en votant sans débat le don gratuit ; mais s’ils se montrèrent respectueux pour la volonté royale, ils n’avaient point entendu pour cela restreindre la sphère de leur liberté. Inspirés par des vues économiques parfaitement saines, ils se crurent donc le droit, dans l’intérêt même du trésor aussi bien que dans celui de la province, de modifier, lors de l’adjudication des fermes, les bases de l’impôt sur les boissons, dont le taux exorbitant, fixé d’office par l’autorité royale en 1709, avait à peu près tari la consommation dans toute la Bretagne, portant ainsi aux finances du royaume le coup le plus sensible. Le maréchal, stupéfait d’une telle audace, écrit par estafette à Paris, et obtient un arrêt du conseil annulant la décision des états. Cet arrêt, immédiatement notifié à l’assemblée, est déclaré par elle nul et attentatoire au pacte qui unit la Bretagne à la France, et les trois ordres, interdisant la perception de tout impôt non consenti, confient l’exécution de leur décision au patriotisme de leurs concitoyens et à celui du parlement, gardien-né des lois fondamentales. Ce grand corps rend à l’instant un arrêt conforme au vœu de la représentation nationale. C’est en présence de cet accord, sur lequel il n’avait pas compté, qu’en pleine séance des états, le maréchal notifie à soixante-trois gentilshommes l’ordre de quitter à l’instant la province, pendant que ses gardes enlèvent à Rennes douze conseillers de leur siège, et que des troupes échelonnées sur la frontière envahissent la Bretagne sur tous les points. Furieuse sans être intimidée, l’assemblée mutilée veut nommer une députation, afin déporter encore au pied du trône l’expression de ses plaintes, pour ne pas dire de ses menaces ; mais le commandant notifie aux membres délégués l’ordre formel de ne point partir, sous peine de se voir traités en criminels de lèse-majesté. Les états se trouvent alors dissous, et la province, sans espoir, ouvre son cœur à des résolutions désespérées.