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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/893

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elle y parvint presque toujours, malgré les vives réclamations de la noblesse, ainsi annulée par l’entente habituelle du clergé avec la bourgeoisie. Le gouvernement d’ailleurs mit bientôt en usage contre les états une arme d’un effet encore plus puissant et plus sûr : il eut l’habileté de leur opposer le parlement de Bretagne, en affectant de considérer l’enregistrement des édits par cette grande cour nationale comme équivalente à une sorte de sanction législative. Quoique ce corps fût en parfaite sympathie avec la noblesse bretonne, au sein de laquelle il était exclusivement recruté, il ne repoussa point tout d’abord un rôle auquel l’attitude du parlement de Paris n’avait que trop prédisposé les compagnies souveraines.

De 1723 à 1756, le ministère présenta donc divers édits financiers à l’enregistrement du parlement de Rennes, et celui-ci crut pouvoir y procéder, après avoir pris soin de réserver formellement le droit souverain des états, et de n’attribuer d’ordinaire aux mesures visées par lui qu’un caractère provisoire. De telles réserves n’étaient pas pour arrêter le second duc de Chaulnes, ni moins encore le duc d’Aiguillon, qui en 1750 avait succédé à celui-ci, en lui achetant 200,000 écus le gouvernement de la Bretagne. Tout entier à la pensée de mater la noblesse, inexpugnable citadelle de la pensée bretonne, d’Aiguillon, chez qui la souplesse n’était dépassée que par la persévérance, se fit à ses débuts l’homme de la bourgeoisie, l’actif promoteur des améliorations matérielles, des réformes et des économies ; il se garda bien surtout de marchander au parlement aucune des conditions d’un concours qui devait d’ailleurs peu durer, et dont ce seigneur allait être appelé à payer bientôt chèrement le prix. Administrateur, dur, mais éclairé, le gouverneur avait doté d’un magnifique réseau de voies de communication la province, qui jusqu’alors n’avait possédé qu’une seule route carrossable, celle de Rennes à Brest ; il avait, par un système bien entendu de casernement, dégrevé les villes de charges accablantes, et vivait d’ailleurs vis-à-vis du tiers-état dans une sorte de prévenance, pour ne pas dire de coquetterie perpétuelle. L’heure ne tarda pas à sonner pour, tant où toute cette politique devint stérile, et où, sous l’impression déjà irrésistible d’idées nouvelles, la bourgeoisie, répudiant ses traditions et transformant ses habitudes, se fit l’alliée de la noblesse, non pour sceller avec celle-ci un pacte durable, mais pour marcher de concert à l’assaut du pouvoir royal et au bouleversement radical de la vieille société française.

Pendant les douze premières années de son administration, le duc, déjà odieux à la noblesse, avait tout obtenu du tiers comme du clergé, et trois fois, de 1756 à 1762, ces deux ordres, appuyés par le parlement, avaient renouvelé le vote de divers vingtièmes ajoutés