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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/931

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notre œuvre de pitié et de justice ou pour nous y remplacer. Mettez-y qui vous voudrez, des Anglais ou des Russes, des Prussiens ou des Autrichiens, s’il vous déplaît que ce soit toujours la France qui soit appelée au secours des persécutés ; mais mettez-y des sauveurs et des justiciers, ne rendez pas les victimes aux bourreaux ! . Vous n’avez pas hésité à nous prendre en Chine pour compagnons de périls et de gloire ; pourquoi hésiterions-nous à vous voir en Syrie faire après nous, ou à côté de nous, l’œuvre de justice et de délivrance que nous avons commencée ? il y a dans ce malheureux pays, il y a à l’horizon un nuage de sang qui, s’il tombe, accablera l’Europe de remords et de honte. Il faut l’écarter à tout prix, et surtout au prix de nos jalousies et de nos rivalités nationales. Songez en effet quel cri ce serait dans l’histoire : trente mille chrétiens en Syrie avaient été massacrés en 1860 et trente mille encore sont massacrés en 1861, parce que l’Angleterre ne veut pas qu’ils soient sauvés par les Français, à qui cela donnerait trop d’influence en Orient !

J’ai indiqué le pouvoir de lord Stratford et des consuls anglais en Orient. Ce pouvoir tenait à des circonstances que la guerre d’Orient vint troubler. Avant la guerre d’Orient, l’Europe, à peine remise des agitations de 1848, n’avait ni le temps ni la pensée de beaucoup s’occuper de l’Orient. Deux puissances s’y partageaient ou s’y disputaient l’influence. Lord Stratford l’emporta, et, voyant bien que le mal de la Turquie était que personne n’y gouvernait, il prit le parti de faire ce que personne ne faisait, et il le fit sans aucune concurrence et sans aucune jalousie de la part des puissances européennes, excepté de la Russie, qui, ayant un autre but que lui, était son adversaire et non pas sa rivale. La guerre d’Orient dérangea cet état de choses ; elle montra à Constantinople d’autres forces et d’autres influences que celles de l’Angleterre. Lord Stratford ne gouverna plus seul ; mais les consuls anglais ont conservé une grande et légitime influence dans les provinces turques. Ils ont continué à surveiller et à contrôler l’administration des pachas. C’est là ce qui donne à l’enquête qu’ils ont faite par ordre de sir Henri Bulwer une importance considérable, parce qu’elle vient d’hommes qui, loin d’être défavorables au gouvernement turc, cherchent de bonne foi à le régénérer. Revenons donc à la dépêche de M. Abbott : nous avons vu comment, dans la partie générale de sa dépêche, M. Abbott proclame que l’état du pachalik de Monastir est bien meilleur qu’il n’était il y a dix ou quinze ans, et cependant cet état meilleur est encore plein de concussions, de violences et d’injustices exercées par les gouvernans sur les gouvernés. Voyons maintenant, dans la seconde partie de la dépêche de M. Abbott, quelques-unes des réponses détaillées qu’il fait aux principales questions de l’ambassadeur anglais.