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mission religieuse, se livrent à des abus indignés en tout point du caractère dont ils sont revêtus[1]. » le témoignage du grand-vizir confirme, comme on le voit, l’opinion des consuls anglais. Je suis, il est vrai, disposé à croire que le grand-vizir n’a pas été fâché de pouvoir dire à l’Europe que les vexations exercées par les évêques grecs étaient une des causes principales de l’oppression des chrétiens dans la Turquie d’Europe. C’est même le seul fait détaillé d’oppression qu’il signale expressément ; les autres faits sont enveloppés et excusés dans des phrases générales. Quel que soit pourtant le penchant naturel du grand-vizir à accuser les chrétiens, les abus reprochés aux membres du haut clergé grec sont évidens, et tous les témoignages s’accordent contre eux.

Des renseignemens particuliers qui me sont adressés de Constantinople par un homme de beaucoup d’esprit, très bon observateur, et qui, par sa position, est à même de tout savoir, me confirment dans la triste opinion que je dois me faire des torts du haut clergé byzantin dans la Turquie d’Europe. Ces renseignemens en même temps me font comprendre comment ces membres du haut clergé byzantin, chrétiens de nom, Turcs de cœur, sont les partisans les plus dévoués de la cause ottomane, parce qu’ils en sont les complices. Citons d’abord quelques faits ; nous verrons ensuite quelles conséquences il en faut tirer.

Il y a dans le clergé grec une grande différence entre le haut et le bas clergé. Le haut clergé, voué au célibat, sort des couvens ; le bas clergé, qui se marie, vit au milieu de ses ouailles, aussi misérable que son troupeau et aussi ignorant ; mais, comme il vit avec lui, il ne l’opprime pas et ne le dépouille pas. Il partage sa misère et ne la fait pas. Il y avait dans notre ancienne monarchie une grande différence aussi entre le haut et le bas clergé ; mais tout le monde dans le clergé, soit en haut, soit en bas, vivait sous la loi des mêmes obligations. Il y avait de l’inégalité dans le clergé, parce qu’il y en avait partout dans la société ; il n’y avait pas une loi différente pour les grands et pour les petits : les grands n’étaient pas assujettis à un célibat dont les petits étaient dispensés, les grands ne se dédommageaient point par les joies du pouvoir et de la richesse des joies de la famille, que la loi leur interdisait ; les petits n’étaient pas exclus légalement des honneurs et de la puissance, parce que la’ loi leur avait fait un bonheur subalterne et leur avait imposé l’abaissement dans le mariage. L’église grecque au contraire est partagée entre deux lois et deux disciplines différentes. Les papas ou prêtres inférieurs ne deviennent pas évêques ni patriarches. Les deux ordres ne

  1. Rapport du grand-vizir, 6 novembre 1860. Voyez les Archives diplomatiques, n° Ier, page 158.