Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui frappent spécialement les papas et qui retombent en fin de compte sur leurs paroissiens, chaque famille donne à l’évêque, sous le nom de secours, une somme annuelle, facultative en principe comme toute aumône, exigée en fait et qui s’élève dans certains diocèses à une vingtaine de piastres. — Si considérables que soient ces taxes fixes, elles sont dépassées de beaucoup par le casuel ; c’est là que se donné carrière l’avidité épiscopale. Lorsque l’évêque consacre une nouvelle église, il exige un droit pour la pose de la sainte table. Cette redevance, en raison de son chiffre énorme, met peut-être plus d’obstacles que le fanatisme musulman à l’érection de nouvelles basiliques. « Je n’en citerai qu’un exemple pris dans l’éparchie d’Andrinople : l’évêque d’Ortakeui exige du village d’Eubrulu 5,000 piastres (1,000 fr.) pour poser la sainte table ; le village en offre 2,000. On n’a pas pu s’entendre, et l’église attend encore sa consécration. » — Les mariages sont pour les prélats grecs une source intarissable de honteux profits. Dépositaire des actes de l’état civil, le clergé suppose des parentés entre les contractans, invente des cas prohibitifs qui se lèvent à prix d’argent. « Le droit que l’église perçoit régulièrement pour un mariage est de 12 piastres ; cette taxé s’élève jusqu’à 5,000, selon la fortune ou l’ardeur des futurs conjoints. Je pourrais citer tel fermier d’Ortakeui à qui l’évêque a demandé 8,000 piastres pour bénir son mariage. » L’union contractée, l’évêque trouve un motif pour la rompre ; il faut payer pour la faire confirmer. Veut-on se séparer, le divorce est impossible ; il faut payer pour l’obtenir. La mort ne rapporte pas moins que le mariage ; « sous le nom de ψυΧομρερίδιον, c’est-à-dire la portion de l’âme, l’évêque perçoit sur le raya décédé un droit de 100 à 2,000 piastres. » Le cadavre ne sort pas de la maison avant de l’avoir payé, quitte à pourrir sur la natte funèbre jusqu’à ce que la malheureuse famille ait vendu ses hardes, ses outils de travail, pour acheter le droit de le mettre en terre.

Une fois en terre, le raya, croyez-vous, n’a plus rien à payer à son évêque ; c’est une erreur. Les prières payées pour le mort n’assurent le repos de son âme que pour trois ans. « Avant que la troisième année soit révolue, la famille doit faire procéder à une odieuse cérémonie, l’άναχομιδή τών λέψανών ; on ouvre la tombe, qui jusque-là n’a pas été couverte d’une pierre, on recueille les ossemens, on les lave avec du vin, on coiffe le crâne d’un fez ou d’un fichu de femme, on récite de nouvelles prières, on perçoit une dernière et lourde taxe de 500 à 3,000 piastres. » Alors seulement le cadavre n’est plus un contribuable et n’a plus affaire qu’à la terre qui achève de le consumer. « Il y a telle paysanne des environs d’Andrinople qui a dû se mettre au service et payer d’une pu deux années de ses gages ces derniers honneurs rendus ou infligés aux restes de son père. »