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qu’elles veulent avoir un avenir national, parce qu’elles sentent qu’elles en sont capables, parce qu’elles sentent en même temps qu’il n’y a d’avenir que pour les sociétés qui ont une église dont elles puissent s’honorer. Une société sans église, libre ou constituée, est une société à qui manque une des facultés de l’âme humaine, et par conséquent une force sociale. Les populations chrétiennes de l’Orient, en se donnant un clergé qui soit le leur, et non pas celui du sultan, font un pas important vers la patrie indépendante qu’elles veulent avoir.

Je sais bien que le clergé byzantin ne manquera pas de dire que les plaintes qu’on fait de sa conduite sont fausses ou exagérées, qu’elles sont l’effet des manœuvres des religieux latins, qu’il y a là une intrigue de la cour de Rome contre le patriarcat de Constantinople. Le clergé byzantin a un moyen bien simple de répondre à toutes ces plaintes et de triompher des prétendues intrigues de la cour de Rome : qu’il se corrige, qu’il s’épure, qu’il revienne à la simplicité et à la ferveur de l’église byzantine persécutée par les musulmans ; qu’il cesse d’être turc d’intérêt ; qu’il n’associe plus sa cause à celle de l’administration ottomane. La faculté de se corriger, de se régénérer, de revivre, est une faculté essentiellement grecque. Si le clergé byzantin se régénère, il prouvera par là qu’il n’est pas Turc, et qu’il peut trouver sa place dans l’Orient de l’avenir. Ce qui perd la Turquie, ce qui fait que ses plus ardens partisans, les consuls anglais par exemple, interrogés par sir Henri Bulwer, finissent par en désespérer, c’est que depuis plus de vingt ans elle travaille à se corriger, à se régénérer, à revivre, et qu’elle n’y peut pas réussir. En vain l’Europe encourage la résurrection de la Turquie, et même de temps en temps fait mine d’y croire : sa résurrection paraît chaque jour plus impossible. Les vices de la Turquie sont plus forts que l’envie qu’elle a de se guérir, et que l’Europe a de la voir guérie. Si les vices que le clergé byzantin a dans son sein sont plus forts que le besoin qu’il a de se guérir, si la vitalité grecque ne l’emporte pas chez lui sur la mortalité turque, s’il ne se corrige point, s’il ne se convertit pas à la discipline chrétienne et au patriotisme grec, alors, c’en est fait, le clergé byzantin est turc, et mourra avec les Turcs. Il n’aura pas pu, mieux que les Turcs, supporter la grande épreuve régénératrice que traverse la Turquie, qui reste plus faible à chaque phase de l’épreuve.

Nous n’avons fait que donner une idée de l’intérêt que présente l’enquête des consuls anglais. Nous continuerons l’analyse de ce document confidentiel, le plus curieux que nous ayons lu sur l’état de l’Orient et sur son avenir.


SAINT-MARC GIRARDIN.