Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À côté de ces explications, évidemment inacceptables ou trop vagues, il en est de moins irrationnelles en apparence, mais qui ont souvent le défaut, tout en affectant une certaine précision, de rester entièrement hypothétiques en même temps qu’elles sont d’une insuffisance évidente. Par exemple, on a soutenu que l’affection des parens l’un pour l’autre, l’état moral, l’imagination de la mère, etc., peuvent agir sur un enfant et modifier ses traits ou son caractère. Rien n’est à coup sûr moins prouvé. Y eût-il même quelque chose de vrai dans ces suppositions lorsqu’il s’agit de l’espèce humaine, il serait bien difficile d’en faire l’application aux animaux, et en tout cas elles laisseraient complètement en dehors le règne végétal tout entier. Nous ne saurions donc les admettre. Toutefois la plupart de ces hypothèses indiquent une tendance à chercher en dehors de l’individu et dans le milieu les causes des variations, et en cela elles se rapprochent de la vérité. Cette donnée générale se retrouve dans plusieurs autres doctrines qui n’ont guère que cela de commun. Ainsi, pour Aristote, Pline, Galien, etc., les conditions physiques et morales qui prévalent chez les parens et le moment même de la conception décident en entier de ce que sera l’être qui n’existe pas encore. D’après Aldovrande, ce sont surtout les actions exercées sur la mère et, par l’intermédiaire de celle-ci, sur l’enfant déjà formé qui impriment à ce dernier, pendant la vie embryonnaire, les modifications dont il conserve les traces durant sa vie entière. Helvétius, Bonnet, etc., attribuant la puissance modificatrice au climat, à la nourriture, à l’éducation, reculent bien plus encore l’époque à laquelle cette puissance commence à agir, et veulent que ce soit seulement après la naissance. M. le docteur Prosper Lucas, qui a résumé et discuté la plupart de ces théories[1], admet à côté de l’hérédité, qui conserve les caractères des ascendans, une force particulière, l’innéité, qui tend sans cesse à diversifier les types. Enfin d’autres auteurs se bornent à dire que l’hérédité, si puissante pour conserver, les caractères généraux de l’espèce, est sans action dès qu’il s’agit de l’individu.

De ces diverses opinions, la dernière, qui refuse à l’hérédité son caractère, si marqué pourtant, de généralité, ne saurait évidemment être acceptée. Nous ferons voir tout à l’heure que les phénomènes s’interprètent-fort bien sans avoir recours à une force spéciale plus ou moins analogue à l’innéité de M. Lucas, et qu’il en est même qui s’accordent mal avec l’existence d’une semblable force. Restent donc les doctrines qui expliquent les variations du type spécifique par une action extérieure et étrangère à l’individu, c’est-à-dire une action

  1. Traité philosophique et physiologique de l’hérédité naturelle. Cet ouvrage est très important à bien des titres, et j’ai eu à lui faire plusieurs emprunts.