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forme des organes tant internes qu’externes ; elle fait encore passer de génération en génération les caractères physiologiques, tels que la fécondité, la précocité, et jusqu’aux simples prédispositions. Enfin, chez l’homme aussi bien que chez les animaux, elle agit avec non moins d’évidence sur les caractères psychologiques. Les faits recueillis par les plus anciens observateurs aussi bien que par les modernes ne peuvent laisser aucun doute sur ce point[1]. Toutefois cette force héréditaire, constamment et nécessairement troublée dans son action, ne peut manifester toute sa puissance dans les individus ; c’est dans l’espèce elle-même, considérée dans son ensemble, qu’elle réalise en détail et successivement ce qu’elle ne peut faire en bloc pour ainsi dire et en une seule fois.

De cette généralité d’action de l’hérédité et du double rôle dévolu au père et à la mère, il résulte que ces deux agens de toute génération tendront également à fixer leur empreinte propre sur le produit commun. Or, quelque semblables qu’on les suppose, il n’en existe pas moins entre eux certaines différences, ne fut-ce que celles qui tiennent au sexe. Si donc l’on remonte par la pensée jusqu’à la paire primitive supposée la souche d’une espèce, on se trouvera en présence de deux actions s’exerçant sur le premier, descendant et tendant à lui transmettre des caractères empruntés à deux sources différentes, Ces caractères peuvent être plus ou moins semblables, et alors le fils les reproduira, peut-être même en les exagérant. Ils peuvent être plus ou moins opposés, et de là résultera entre les deux actions contraires une lutte pouvant entraîner soit une neutralisation réciproque, soit un résultat moyen, soit la prédominance plus ou moins marquée de l’un des deux caractères qui cherchent à se reproduire. Enfin, sans s’exclure mutuellement, les caractères des parens peuvent être différens. Dans ce cas, le caractère correspondant chez le fils sera une résultante, c’est-à-dire en réalité un caractère nouveau qui n’existait ni chez le père ni chez la mère, de même que le vert, produit par le mélange du jaune et du bleu, est, une couleur différente de l’un et de l’autre, On voit comment, sans recourir à l’innéité ou à toute autre force analogue, nous trouvons, dès la première génération et dans la loi qui est l’essence même de l’hérédité, la preuve que jamais le fils, la fille, ne peuvent être identiques soit avec L’un, soit avec l’autre des parens.

Les mêmes causes agissant à chaque génération produiront évidemment des effets de même nature. L’hérédité simple, directe et immédiate est donc à certains égards une source de variations, du type premier. Toutefois nous n’expliquerions pas par ce qui précède

  1. On trouvera dans l’ouvrage de M. Lucas la réunion la plus complète des preuves à l’appui de ce que je ne fais qu’indiquer ici.