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et les aurait forcés de se marier entre eux. Ce que nous avons vu se passer chez les animaux autorise à dire qu’en pareil cas la très grande majorité de la population résultant de ces mariages, la totalité peut-être, n’eût pas tardé à présenter ces caractères regardés à juste titre comme des difformités. Quel argument pour les polygénistes que la découverte d’une terre ainsi peuplée ! Certes l’écart serait ici bien autrement grand que dans le nègre ou l’Australien, et pourtant on vient de voir comment de pareilles races pourraient prendre naissance de la façon la plus naturelle au milieu de notre espèce, et n’être même que des sous-races d’un des rameaux blancs les plus purs.

Mais aucun Lambert, aucun Colburn ne s’est allié avec un autre individu présentant la même anomalie que lui. La sélection, qui avait pour résultat de conserver, de perpétuer les caractères exceptionnels de l’ancon et du mauchamp, tendait donc ici au contraire à effacer l’activité surabondante et tératologique de la peau, le nombre exagéré des doigts. À chaque génération, l’influence du fait primitif diminuait forcément par le mélange du sang normal : elle a dû finir par disparaître promptement. Ainsi s’expliquent quelques faits généraux constatés dans nos études précédentes, et dont le lecteur pourrait maintenant s’étonner. Nous avons vu que les limites des variations étaient bien moins étendues dans l’homme que dans les races domestiques. À qui demanderait pourquoi, nous répondrions que l’homme ne se soumet guère lui-même à la sélection, qu’il applique aux animaux avec tant de succès. Même lorsqu’il y va de la vie des enfans à naître, à peine s’inquiète-t-on de la santé des époux dans un trop grand nombre de mariages ; à plus forte raison ne cherche-t-on guère à perpétuer les traits caractéristiques des variétés qui peuvent surgir au milieu de nous, et les plus frappantes d’entre elles, comme celles que je viens de citer, disparaissent sans former de race au bout d’un petit nombre de générations. Lorsqu’au contraire, par une cause quelconque, l’espèce humaine est traitée comme les animaux, le résultat est chez elle exactement le même que chez ces derniers. Frédéric-Guillaume et Frédéric II avaient la même passion pour les hommes de haute taille, et l’on sait comment ils mariaient souvent de gré ou de force les géans de leur garde avec les plus grandes filles que le hasard plaçait sur leur chemin. Forster nous apprend que, grâce à cette sélection, la population des environs de Potsdam présentait de son temps, surtout chez les femmes, une taille très sensiblement supérieure à celle des habitans de toutes les contrées voisines[1].

  1. Un Village d’Alsace où séjournait un prince de Deux-Ponts qui partageait les goûts de Frédéric présente encore aujourd’hui la même particularité que Potsdam. Je tiens ce renseignement de M. Stœber, professeur à la faculté de médecine de Strasbourg.