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manuscrits et enluminés que les riches seuls étaient en mesure d’acquérir. Il suffit au reste de jeter les yeux sur les anciens recueils xylographiques pour apprécier le vrai principe de l’entreprise et le caractère qu’on prétendait lui assigner. Partout se manifeste une intention de rivalité avec les œuvres sorties de la plume des scribes ou du pinceau des miniaturistes. Qui sait même ? Peut-être, en conservant à ces produits de l’industrie nouvelle une apparence conforme aux travaux antérieurs, ne voulait-on que spéculer sur le peu de clairvoyance des lecteurs, et songeait-on beaucoup moins à divulguer un secret qu’à propager une illusion. Dans la plupart des livres xylographiques en effet, la première page est entièrement dépourvue d’ornemens : point de tête de chapitre, ni de grandes lettres. L’espace, laissé en blanc, semble attendre la main du miniaturiste, comme si le concours de celui-ci importait expressément à l’achèvement de l’œuvre, comme s’il devait compléter la physionomie de ces livres en permettant au regard de les confondre avec les manuscrits. Survint Gutenberg, qui, sans se renfermer aussi étroitement dans les limites de l’imitation calligraphique, ne dédaigna pas cependant de donner le change, au début, sur la nature des procédés qu’il employait. La Bible imprimée par lui à Mayence se vendait, dit-on, comme manuscrit : aussi le texte n’est-il accompagné d’aucune explication technique, d’aucune note indiquant soit le nom de l’imprimeur, soit le mode de fabrication. Ce n’est qu’un peu plus, tard, lorsqu’il publie le Catholîcon, que Gutenberg déclare qu’il a imprimé ce livre « sans le secours du roseau, du style ou de la plume, mais au moyen d’un merveilleux ensemble de poinçons et de matrices. » Encore, dans ce spécimen d’un procédé déjà bien défini et révélé désormais à la foule, les initiales, laissées en blanc au tirage, ont-elles été ajoutées après l’impression du reste et tracées à la plume ou au pinceau : dernier hommage aux anciennes coutumes, dernier souvenir d’exemples qu’on allait dédaigner bientôt pour n’attacher de prix qu’aux œuvres de l’art nouveau, aux produits exclusivement typographiques.

L’inventeur de l’art d’imprimer les estampes gravées en creux ne voulut-il d’abord, comme l’inventeur de la typographie, que mettre à la portée de tous ce qui avait été réservé jusqu’alors à quelques classes favorisées ? La gravure ne parut-elle au début qu’un moyen de déposséder les miniaturistes de leurs privilèges ? On serait tenté de le croire à voir l’empressement avec lequel les graveurs italiens, disciples de Finiguerra, enrichissent des œuvres de leur burin les écrits le plus habituellement commentés par le pinceau. Sandro, Botticelli, Baccio Baldini gravent, celui-ci pour le poème de Dante, celui-là pour des manuels religieux, des vignettes destinées à populariser à la fois le talent des artistes et les textes qui l’ont inspiré.