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la partie de l’empire où cette tentative a le moins de chance de réussir est la Hongrie, et la Hongrie à elle seule, en population, en ressources militaires, en richesses naturelles, représente plus d’un tiers de l’empire. La Hongrie ne veut pas plus de la centralisation représentative qu’elle ne voulait de la centralisation bureaucratique. Les Hongrois refusent d’entrer dans le parlement de l’empire. Ils ne veulent conserver d’autre lien avec l’Autriche que ce qu’ils appellent le lien personnel, c’est-à-dire celui qui résulte de la personne du souverain commun aux deux pays. Ils forment un royaume, et ils veulent au fond pour ce royaume une existence complètement indépendante, puisqu’ils entendent voter les impôts et les lois de recrutement militaire, sans consulter, dans les questions financières et militaires, les convenances de la généralité de l’empire. Il faut avouer, en faveur des Hongrois, que les anciens torts du gouvernement autrichien leur rendent bien difficile de considérer de sang-froid les chances que leur offriraient les conditions qui leur sont proposées. Ces conditions pourtant leur seraient au fond très avantageuses. Fournissant au parlement de l’empire un nombre de représentans bien supérieur à celui de toute autre province ; il leur serait facile, par d’intelligentes combinaisons, de s’y assurer la majorité et la prépondérance. Ils parviendraient ainsi à faire vraiment pivoter sur les intérêts hongrois le gouvernement de l’Autriche, et ils obtiendraient ce résultat sans courir le péril des révolutions et de la guerre, en s’introduisant dans les cadres tout faits d’une grande puissance européenne.

Par malheur, les fautes du passé semblent avoir rendu le malentendu irrémédiable entre la cour d’Autriche et la Hongrie. Au lieu de s’emparer de l’influence et du pouvoir que l’Autriche serait aujourd’hui contrainte de leur abandonner, les chefs du mouvement hongrois ne daignent accepter que l’illusoire lien personnel que nous avons défini, et aspirent à faire de leur pays le centre d’une hypothétique confédération danubienne, dans laquelle on ferait entrer des Roumains, des Serbes, des Slaves, c’est-à-dire des populations qu’il faudrait enlever en partie à la Turquie, peut-être à la Russie. Au lieu d’agir avec ce qui est, ils ne songent qu’à s’agréger ce qui n’existe point encore, ce qu’ils ne pourraient appeler à eux que par des perturbations, des insurrections, des guerres périlleuses.

Telle est la tendance à laquelle la Hongrie est entraînée par des ressentimens qui ont eu, nous le reconnaissons, de justes causes, et par des passions qui, nous le craignons, ne sont pas de sages conseillères. On doit avouer aussi que les maladresses et la faiblesse de la politique autrichienne depuis le diplôme du 20 novembre ont contribué à confirmer les Hongrois dans leurs prétentions exagérées. La faute du gouvernement impérial est de ne point avoir accordé d’un seul coup aux Magyars tout ce qu’on devait ou l’on pouvait leur concéder. La conséquence de la gaucherie du gouvernement autrichien a été que les Hongrois lui ont arraché successivement plusieurs