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La journée avait été courte, la fatigue nulle ; garçons et filles dansaient jusqu’à minuit, car ni les bras ni les jambes n’étaient las. Aujourd’hui chaque saison amène ses travaux ; on ne danse plus, on se couche de bonne heure. Ces veillées éclairées par une fumeuse chandelle de résine n’offraient pas d’ailleurs que des plaisirs innocens : elles ont toujours été, elles sont encore le sujet des prédications des prêtres du Bocage. Peut-être se flattent-ils aujourd’hui que leurs paroles seules ont modifié les habitudes de la population ; il est permis, sans diminuer la valeur de leurs conseils, de croire que le travail rude et assidu a bien aidé à cette moralisation, et que si l’on ne danse plus avec la même ardeur, c’est que le besoin de sommeil vient plus tôt au corps fatigué.

Pas plus que les habitans, la terre ne se repose aujourd’hui. L’introduction des plantes fourragères a permis d’augmenter le nombre des bestiaux ; le bétail, plus nombreux, a fourni une plus grande quantité d’engrais, et tous les ans les champs, largement fumés, amendés par la chaux, donnent leurs récoltes dans un ordre réglé par un assolement qui se perfectionne chaque jour. Une plante qui a produit des résultats merveilleux dans le terrain siliceux du Bocage, et qui est un irrécusable témoin de la fécondité de ce pays, c’est le chou cavalier, chou branchu, qu’on appelle dans le pays chou de Cholet, parce que c’est là d’abord qu’il a été cultivé. Ces choux, dont il existe plusieurs variétés, se ramènent tous à un type à peu près uniforme : tige élevée, garnie du haut en bas de larges feuilles, plus larges et plus vigoureuses à mesure qu’elles poussent plus près de la tête. Plantés par milliers du 15 juin au 15 juillet, ces végétaux prennent un accroissement rapide, et au commencement de l’hiver, s’ils ont été soigneusement sarclés, ils atteignent une hauteur moyenne de 1m33. Parmi eux, quelques individus dépassent la taille d’un homme. Ils présentent alors une masse considérable de fourrage vert, et les fermiers commencent à cueillir les feuilles les plus proches de terre pour la nourriture du bétail. Ces sortes de forêts sont mises en coupe réglée, et tout l’hiver, si ce n’est par les froids rigoureux, l’étable reçoit des charretées de ces feuilles, qui se renouvellent toujours. C’est un rude travail de les cueillir dans la mauvaise saison, lorsqu’elles sont couvertes de l’eau qui s’amasse dans leurs cavités. Celui qui doit faire cette récolte, la poitrine et le dos seulement couverts d’une peau de chèvre, souvent même vêtu d’une simple blouse de grosse toile, se plonge dans cet océan de verdure et reste là de longues heures, arrachant régulièrement les feuilles qu’il transporte, réunies en pesans fagots, jusqu’en dehors du champ. Il sort de là aussi mouillé que s’il avait traversé une rivière à la nage. Aussi, dans certaines parties du Bocage, les domestiques de ferme préfèrent-ils se mettre absolument nus pour faire cette récolte. Cette sorte d’hydrothérapie forcée est sans doute moins malsaine que le contact plus ou moins long d’habits mouillés. Quant aux vêtemens imperméables que l’on pourrait employer, ils ont pour les cultivateurs le défaut d’être coûteux, et aussi de gêner les mouvemens. Dans une ferme bien cultivée, les choux occupent