Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
EL CACHUPIN
SCENES ET RECIT DE LA LOUISIANE


I

L’hiver de 1829, qui sévit en Europe avec tant d’intensité, fit aussi sentir ses rigueurs dans le Nouveau-Monde. On vit les lacs de la Haute-Louisiane se couvrir de glace ; il neigea sur toute la contrée basse et marécageuse qui s’étend de l’embouchure de la Rivière-Rouge à la Sabine, dans les terres chaudes et profondes où l’on cultive le coton et la canne à sucre. Les magnolias qui bordent les ruisseaux et les lataniers des savanes frissonnèrent sous le givre. Engourdis par le froid, le geai bleu et le moqueur se laissèrent prendre à la main ; les flamands couleur de feu s’enfuirent vers des climats plus doux, abandonnant aux cygnes et aux bernaches les grèves du Mississipi. Il faisait bon alors chasser dans les forêts : le gibier, peu farouche dans les temps ordinaires, semblait frappé de stupeur et s’apercevait à peine de la présence de l’homme ; mais pour le voyageur qui avait à parcourir à cheval de grands espaces déserts, ce refroidissement inaccoutumé de la température devenait une cause de souffrance véritable. Quand on fait halte pour prendre son repas au milieu des bois, il est dur de s’asseoir sur une terre glacée ; l’eau des sources, si agréable en été par sa limpidité et son extrême fraîcheur, n’est plus qu’un breuvage insipide lorsqu’il gèle et que la neige en altère la pureté. Ces observations feront sans doute sourire les touristes qui parcourent maintenant sans fatigue et avec la rapidité de la flèche l’immense territoire de l’Union ; mais, il y a trente ans, les chemins de fer n’étaient pas même connus de nom, et les provinces du sud-ouest des États-Unis gardaient encore,