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exactement les mêmes phénomènes que chez les végétaux. Chez eux aussi les faits se sont multipliés, le nombre des espèces croisées a augmenté par suite de l’intervention de l’homme, et ce résultat s’explique aisément. Ici, comme dans bien d’autres cas, l’homme n’a fait que détourner un instinct préexistant et le diriger vers le but qu’il se propose. Pour obtenir ces croisemens, on sépare les individus de même espèce et on les rapproche d’individus d’espèces différentes. Quand l’instinct de la reproduction s’éveille, il parle haut, et ce n’est pas sans raison que nos campagnards désignent par le mot significatif de folie l’état dans lequel se trouvent alors les animaux. Ne trouvant pas à se satisfaire normalement, cet instinct, destiné à assurer la durée des espèces, s’égare et transforme en époux même de simples compagnons de captivité. Voilà comment on a vu s’unir, par exemple, le lion et le tigre, qui, libres dans leurs déserts, n’eussent certes jamais songé à de pareils embrassemens[1]. Entre espèces depuis longtemps domestiquées, entre individus élevés et nourris ensemble, la communauté d’habitudes, la familiarité journalière, favorisent la déviation. Ainsi s’expliquent certaines amours bizarres signalées par divers auteurs, et que nous avons pu nous-même constater dans un cas fort peu d’accord avec le proverbe qui fait du chien et du chat des ennemis irréconciliables.

Mais ces dernières unions sont-elles fécondes ? Non, pas plus que celles que l’homme pratique entre végétaux trop éloignés. Ici comme dans le règne végétal, son intervention multiplie tes cas d’hybridation, sans pour cela reculer les limites fort étroites au-delà desquelles cesse ce phénomène. M. Isidore Geoffroy a montré ce qu’il fallait penser de certains faits cités comme preuve d’un croisement entre espèces de familles différentes. Pas plus pour les animaux que pour les plantes, l’hybridation n’est encore allée jusque-là. De l’ensemble des faits réunis et discutés par le juge si compétent que je viens de citer, il résulte en outre que si les unions fécondes entre espèces de genre différent sont incontestables, elles sont néanmoins bien plus rares que les croisemens entre espèces congénères. Celles-ci elles-mêmes sont loin d’être nombreuses, surtout dans les groupes élevés. Il y a donc, sous tous les rapports, identité entre, les deux règnes. Ce fait est d’autant plus remarquable que l’hybridation artificielle des animaux remonte à la plus haute antiquité, au moins pour quelques-unes de nos espèces domestiques. Le mulet était connu des Hébreux avant l’époque du roi

  1. Ces unions ont été fécondes. On cite surtout l’exemple d’un lion et d’une tigresse appartenant à une ménagerie ambulante et qui produisirent successivement cinq portées. Le père était né lui-même en captivité, et était fils d’un lion de Barbarie et d’une lionne du Sénégal. La mère était originaire de Calcutta. Histoire naturelle des Mammifères, par M. Paul Gervais, professeur à la faculté des sciences de Montpellier.