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ses dernières pages, admettre des croyances que devait réprouver l’habitude d’une éducation scientifique ou celle même d’une saine et ferme religion. On hésite devant le problème que présente cette vieillesse respectée ; il faut aller en avant et citer ces pages, qui intéresseront tout au moins comme de curieux signes de l’ébranlement intellectuel de ces temps.

La foi dans une Némésis divine entraîne pour Linné la croyance aux apparitions d’esprits et de fantômes, aux songes et aux présages. de même que le corps est accompagné de son ombre, qui n’est pas toujours visible, de même toute âme est accompagnée d’un génie. L’âme est-elle pieuse et pure, ce génie est un bon ange ; est-elle criminelle et souillée, c’est un satellite inséparable qui l’entraîne au malheur. Ce génie se met en rapports avec l’homme par des avertissement publics ou secrets, par des voix, par des apparitions ; il y a encore les pressentimens, la seconde vue, les sciences occultes… Il faut bien avouer que Linné admet tous ces moyens de communication avec le monde invisible :

« La géomancie révéla, dit-il, au général Charles Cronstedt que Charles XII succomberait avant la fin de novembre ; mais cette prédiction ne fut connue que des plus intimes parmi ses officiers. Le 30 novembre, un ami de Cronstedt lui dit : « Voici le dernier du mois, et le roi vit encore. — La journée n’est pas finie,- répond Cronstedt. » Et le roi est tué pendant la nuit, — probablement par le colonel français Siquier[1].

« Il y avait une femme, pauvre et maladive, qui parcourait les campagnes en prédisant l’avenir. Elle déclara chez nous qu’on aurait bientôt un incendie. Sur le cri d’effroi que poussa ma mère, elle ajouta : « Priez Dieu, et il vous épargnera cette vue. » L’incendie éclata aussitôt après la mort de ma mère. — Mon frère Samuel, étant enfant, était d’un esprit vif, et moi je passais pour fort peu intelligent. Tout le monde disait de mon frère qu’il serait

  1. L’histoire de l’assassinat de Charles XII par le Français Siquier est une tradition doublement fausse déjà révoquée en doute par Voltaire, et qu’il ne faut plus laisser passer sans réfutation. Après deux inspections du cadavre, l’une faite en 1746, l’autre le 31 août 1859 en présence du roi Charles XV, il est parfaitement démontré que le projectile a été un biscaïen venant de la forteresse. La Société de médecine de Stockholm s’est livrée tout récemment à une discussion nouvelle et approfondie sur ce sujet, et telle en a été la conclusion. Nous avons sous les yeux de très intéressans travaux de MM. Santesson et Liljewalch, celui-ci médecin du roi de Suède, celui-là chirurgien distingué, à propos de cette question d’histoire et de médecine. Un seul problème resterait encore non résolu, suivant M. Liljewalch : celui de savoir si Charles XII a reçu le projectile, du côté droit ou du côté gauche. Une question de médecine légale fort importante se cache à la vérité derrière ce problème ; mais elle importe peu à la solution principale désormais acquise : Charles XII a été tué par un coup parti de la forteresse norvégienne ; Suédois et Français sont innocens de sa mort. — L’histoire de Siquier assassin de Charles XII est une invention populaire comme l’est sans doute aussi la narration des vicissitudes qu’a subies en Suède le crâne de Descartes. On m’a communiqué une enquête manuscrite dont le résultat le plus clair serait de faire croire à l’identité de trois ou quatre têtes de Descartes conservées aujourd’hui chez des amateurs suédois, et l’auteur de cette enquêté, embarrassé devant une telle conclusion, n’a plus d’espérance que dans une inspection officielle du corps qui repose au Panthéon !