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adoptées par l’usage dans les bazars du Caire ou de Constantinople. Ce sont des commissionnaires israélites qui surent obtenir d’une des plus anciennes maisons de Manchester des reels ou bobines qui devaient contenir trois cents yards de fil et n’en contenaient réellement que deux cents. N’a-t-on pas vu des ancres, des chaînes soi-disant éprouvées, portant les marques officielles de cette opération, vendues pour telles, mettre en danger des milliers de navires, et causer naguère la perte de riches cargaisons, alors qu’au milieu d’une tempête les équipages se croyaient en sûreté, mouillés qu’ils étaient sur ce qu’ils pensaient être le nec plus ultra d’une industrie dont tout Anglais devrait être fier ? Loin de nous d’ailleurs l’idée d’envelopper dans ces reproches des maisons honorables, qui se comptent encore par centaines, aussi solides dans leurs principes de loyauté qu’elles sont anciennes et respectées. Le mal, nous l’espérons, n’est pas contagieux. Il suffira d’une ombre de concurrence étrangère, mais de concurrence honnête, pour ramener les fabricans au sentiment de leur véritable intérêt, sinon de leur devoir.

Un pays exclusivement agricole ne peut guère être en même temps industriel. S’il le devient, ce n’est que partiellement d’abord, au détriment de ce qui fait sa grandeur, et en luttant avec peine contre l’énergie intelligente de ses rivaux, essentiellement manufacturiers. Cependant, si l’industrie gagne du terrain, c’est qu’elle a sa raison d’être, car l’équilibre se fait graduellement partout, et l’industrie, comme l’eau, trouve tôt ou tard son niveau. Ce sont ces nobles combats qui conduisent à la supériorité ; c’est cette supériorité de production ouvrée qui, comblant les distances, les frais de transport et de main-d’œuvre, permet de trouver du profit à réexpédier au-delà des mers des millions d’articles manufacturés sur les lieux mêmes qui ont fourni la matière première. À quels inconvéniens ne serait-on pas exposé, si le matériel brut fourni par une partie du monde ne pouvait aller se convertir, selon les exigences de la consommation, partout où l’industrie le permet ! Admettons pour un instant que les États-Unis Seuls produisant du blé, l’exportation de cette céréale ne fût autorisée que sous la forme de farine : qu’arriverait-il ? La farine étant une des bases de notre alimentation, la demande en serait immense ; le pays producteur, pouvant compter sur des débouchés aussi nombreux que réguliers, ne tiendrait probablement qu’un compte médiocre des droits de la consommation. L’amour du lucre conduirait bientôt ainsi à des sophistications nombreuses que nos institutions actuelles ne peuvent pas réprimer. Le monopole enfin, dans toute sa laideur, enrichirait la production aux dépens de la consommation.

Ce n’est là pourtant qu’une des moindres faces de la question.