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Les droits du plus fort, les nécessités du moment, plusieurs autres circonstances, intervertissent les rôles des peuples et l’ordre naturel des choses. Rien ne tient contre ces courans anti-économiques que le vent d’intérêts divers soulève et déchaîne à volonté. Nous en trouverions de frappans tableaux dans l’histoire des premières relations des Indes orientales avec la métropole britannique, des premiers pas faits par les États-Unis d’Amérique dans la carrière fabuleuse qu’ils ont fournie aux divers points de vue de la culture qui défriche et améliore, de la richesse qui, pour s’agrandir encore, veut innover et toucher à tous les filons aurifères de la civilisation. Dans les Indes anglaises, la métropole, ne considérant que comme un pur accessoire le côté économique de la prospérité des peuples conquis, voulut, en retour des larges privilèges accordés à la compagnie des Indes, appliquer au développement de la marine marchande britannique, ainsi qu’au progrès de son industrie manufacturière naissante, les ressources immenses de ses nouvelles possessions. Les cotons qui provenaient des districts agricoles de Bombay, de Surate et de Madras ne purent plus dès lors être filés ni tissés en Asie. Ils étaient chargés pour Liverpool, d’où ils passaient dans les manufactures du Lancashire et du Yorkshire. Ils s’en retournaient sous le même pavillon britannique, et sous la forme de différens tissus, vêtir les Hindous qui avaient arrosé de leurs sueurs les champs où la fibre avait pris naissance. C’est ainsi que cette industrie cotonnière à l’état d’embryon sous le règne de George III, c’est ainsi que ce gigantesque commerce de coton a fait ce qu’elles sont aujourd’hui Liverpool, Manchester, et plusieurs autres villes de moindre importance. Il n’y avait pas de concurrence possible. Aucune nation n’était admise à traiter directement avec la consommation du pays. Les manufacturiers anglais, aussi pratiques qu’intelligens, s’efforçaient probablement de satisfaire, autant que leur bon goût et leur amour du lucre le leur permettaient, aux besoins des habitans ; toutefois la preuve qu’ils n’y réussirent pas toujours, c’est la faveur extraordinaire que les manufactures suisses, les indiennes françaises et certains produits du continent rencontrèrent, comme par enchantement, sur les marchés de l’Inde anglaise, dès qu’ils furent ouverts aux pavillons étrangers. Cet état de choses, qui contraste un peu avec les professions de foi free tradists des Anglais d’aujourd’hui, dura aussi longtemps qu’existèrent certaines chartes égoïstes de la compagnie des Indes, the old woman, qui divisait, annexait, encaissait, faisait la guerre et la paix selon son bon plaisir. Depuis la suppression définitive des attaches féodales qui liaient la métropole à cette puissance unique, quoique vassale, le commerce et l’industrie de ces riches possessions, rendus libres, ouvrirent les