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elles aussi, retrouveront leur chance de produire du lainage à bon marché, et de lutter avec les nouvelles contrées à coton. Plus celles-ci, seront éloignées des centres de fabrication, plus les frais de transport deviendront sensibles, et plus les qualités devront être améliorées, puisque le fret est payé sur le poids, sans égard pour la qualité ; plus enfin se fera sentir, pour les populations qui fournissent la matière première et la consomment à l’était ouvré, la nécessité d’implanter au milieu d’elles l’industrie qui la transforme.

Laissons donc de côté l’avenir de la question. Les difficultés du présent sont toujours là. En résumé, si la récolte manquait aux États-Unis, la crise serait terrible : il y aurait ruine complète. Si le déficit, par suite de circonstances heureuses et probables, ne dépassait pas la moitié de la production ordinaire, la crise n’en serait pas moins forte ; mais la durée en serait comparativement réduite en raison des efforts réunis des capitaux, du commerce, de l’industrie, de la culture, pour accroître, partout où la chose1 est possible, le total des exportations de coton pour l’Europe. De quelque côté qu’on retourne la question, le résultat est le même. It is too late, we can’t help it. Et si les ouvriers et les classes pauvres en Angleterre ont à souffrir d’un état de choses qui pouvait être mitigé par un peu de prévoyance, il est dur de le dire, c’est aux riches manufacturiers mêmes qu’ils devront leur misère. Dans tous les cas, de cette vexed question sortira une grande leçon pour le peuple anglais, qui se repose un peu trop sur ses guinées et sur lui-même, comme s’il avait à cœur de faire de temps à autre un miracle à la douzième heure. De tels miracles, tout admirables qu’ils soient, coûtent trop cher aux contribuables qui les paient ; il est temps qu’on s’arrête dans cette voie d’expériences ruineuses. Au pis aller, quoi qu’il arrive, l’équilibre ne peut manquer d’être rétabli dans quatre ou cinq années, après lesquelles le coton sera plus abondant et à meilleur marché qu’aujourd’hui. C’est à la nation qui a su traverser victorieusement tant de terribles épreuves à se mettre au niveau des circonstances, et de son plein et entier succès nous n’avons pas le moindre doute.


JOHN NINET.

Londres, février 1861.