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français une routine de notre ancienne diplomatie. Avant 1789, il était admis parmi nos hommes d’état que la France devait combattre la formation sur sa frontière d’états puissans, que c’était pour elle un intérêt vital de n’avoir auprès d’elle que des états moyens, petits, faibles. C’est de cette maxime qu’on voudrait encore aujourd’hui, en plein XIXe siècle, faire l’application à l’Italie. Certes, en demeurant sur le terrain purement utilitaire, en discutant la question au point de vue des intérêts français, il est aisé de réfuter cette vieille politique. Que nous apprend notre histoire depuis François Ier, ou, si l’on veut, depuis Richelieu jusqu’à 1789 ? C’est que cette ceinture de petits états était moins pour nous une sécurité, une garantie de paix, qu’une occasion de guerres perpétuelles. L’Italie elle-même en est un exemple : elle était divisée en petits états. Sans parler des prétentions fondées sur les alliances dynastiques et les droits d’hérédité qui résultaient du morcellement de l’Italie, et qui nous ont tant de fois appelés dans la péninsule, les petits états offrent par leur nature même des tentations et des prétextes continuels de guerre à leurs voisins puissans. C’est inévitable. Les états faibles sentent qu’ils ne peuvent être indépendans : ils ont besoin de protection ; ils cherchent cette protection auprès d’eux, suivant le cours des alliances de famille, suivant les préférences ou les nécessités d’ambition de leurs chefs. Le morcellement de l’Italie a été dans le passé la cause des guerres incessantes que nous avons soutenues en Italie. Or, si la France avait à dresser le bilan de ces guerres, pourrait-elle croire qu’elles lui ont été bien avantageuses ? N’ont-elles pas eu le plus souvent pour résultat de nous chasser de l’Italie et de la livrer à la domination, toujours plus longue que la nôtre, tantôt des Espagnols, tantôt des Autrichiens ? Il n’en aurait pas été ainsi, il n’en sera plus ainsi avec une Italie unie et devenue une puissance assez forte pour ne plus offrir de tentations aux cupidités de ses voisins et pour résister victorieusement aux ambitions étrangères. Il est possible que les hommes d’état de l’ancien régime eussent été peu sensibles aux avantages d’une telle situation. La guerre était l’élément essentiel et pour ainsi dire, le milieu normal de leurs conceptions politiques. L’unité de l’Italie leur eût enlevé ce nid de guêpes, cette mine de guerres qu’ils avaient sous la main toutes les fois qu’ils voulaient faire montre de leur génie. Cet avantage de l’unité de l’Italie, si elle parvient à se fonder, sera profondément senti au contraire par les sociétés modernes, construites, outillées pour l’industrie, pour le commerce, par conséquent pour la paix.

Nous ne nous arrêterons point à ces regrets de sentiment et d’imagination que laisse à des esprits trop amoureux des souvenirs historiques la fin de ces petites principautés, qui donnaient une grande variété de physionomie et, nous le reconnaissons, un charme particulier aux diverses parties de la péninsule ; mais peut-on mettre en balance la poésie de l’histoire tombant après tout en décrépitude avec les intérêts actuels, les besoins nouveaux des peuples dans l’Europe moderne ? Ce n’est pas seulement au prix de leur indépendance