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PHIDIAS.

Nous ferons sagement, mon cher ami, car c’est provoquer la destinée que de s’abandonner soi-même. (Tous entrent dans l’atelier et s’arrêtent devant un modèle en terre que Pœonios découvre. )

PÆONIOS

Tu vois, Phidias, que j’ai retouché mon Thésée en me conformant à tes conseils.

PHIDIAS.

Oui, je vois que tu as supprimé beaucoup de détails, et je t’en loue. Les grandes divisions du corps ressortent mieux depuis que tu leur as subordonné les petites ; les os sont accusés avec plus de hardiesse, on sent le jeu intérieur des muscles, parce qu’ils ne sont plus noyés sous l’épaisseur des chairs et les délicates complications de l’épiderme. Tel est le secret de la légèreté et de la force. Si tu veux faire l’homme plus beau qu’il n’est, fais-le plus simple.

PÆONIOS

La nature cependant offre des modèles merveilleux.

PHIDIAS.

C’est pourquoi il ne faut pas lutter avec elle. Les peintres essaient-ils de copier toutes les plumes d’un oiseau ou tous les épis d’un champ ? Lorsque nous lisons Homère, l’image des dieux nous apparaît grandiose, parce que le poète les esquisse en quelques traits. Un souffle supérieur les anime ; leurs yeux ont la pureté de l’éther ; un mouvement de leurs sourcils agite le monde ; d’un pas ils franchissent les montagnes et les mers. La sculpture de décoration est comme l’épopée. Elle doit, pour produire un grand effet, simplifier et simplifier encore.

PÆONIOS

Je n’ai point eu le temps de retoucher les cheveux.

PHIDIAS.

Tes cheveux sont trop bien rendus : traite-les plus largement, sans les achever ; dispose-les par masses, afin qu’ils s’éclairent. Quant au visage, je te montrerai ce qui lui manque. Donne-moi ton ébauchoir.

PÆONIOS

Le voici.

PHIDIAS.

Le nez est trop modelé ; à distance, il paraîtrait mou, car tu n’oublies pas que ta statue sera placée au sommet d’un temple. Si au contraire tu appliques l’ébauchoir, comme je le fais, sur toute la longueur du nez, tu obtiens une surface nette et des arêtes vives. Lorsque ta figure sera sur la plinthe du fronton, la perspective corrigera cette dureté : l’air arrondira toujours assez les contours. De même je fais les paupières saillantes et tranchées. La bouche est très bien ouverte, mais la lèvre inférieure a besoin de plus de fermeté. Vois, deux coups suffisent.

PÆONIOS

Alcamène, quand il nous visite, se moque de nos modèles ; les siens sont aussi finis que s’ils devaient être coulés en bronze.