Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les vagues, en faisaient jaillir d’énormes colonnes d’eau qui retombaient en gerbes. Bientôt les deux navires ne furent plus qu’une montagne de fumée d’où sortaient des éclairs ; leur feu se tut ; un coup de vent passa qui enleva cette brume de poudre brûlée : la frégate reparut subitement, comme dans une évocation, avec son fin gréement noir ; elle se dirigea vers les côtes de Calabre, et fut en quelques instans hors de la portée de nos pièces.

Quand j’arrivai au Phare, je trouvai les troupes sous les armes, échelonnées de distance en distance et prêtes à repousser un débarquement dans le cas, fort peu probable, où les Napolitains eussent osé le tenter. Le rapide combat auquel je venais d’assister, en lointain spectateur, n’avait pas eu pour nous de suites très graves : une trentaine de nos hommes, atteints par les boulets, venaient d’être transportés aux ambulances ; une baraque de cantinier brisée par une bombe étalait grotesquement sur le sable, à côté de son rosolio, de son sambuco, de son café répandus, des débris de carafes cassées et de marmites effondrées. Le pauvre diable de cantinier, plus mort que vif, racontait à tout venant le danger auquel il avait échappé, grelottait encore de peur, et regardait piteusement ses ustensiles fort mal accommodés.

Deux petits lacs, situés à la base de cette langue de terre dont le Phare occupe l’extrémité, avaient été réunis entre eux et ensuite joints à la mer par un canal que Garibaldi avait fait creuser. De la sorte il avait, à l’abri de toute attaque et exposé seulement au hasard des projectiles perdus, un bon port qui contenait toutes les barques dont il comptait se servir pour faire passer son armée sur le continent. Ces barques étaient peu rassurantes, au nombre de deux cent cinquante environ, petites, pouvant contenir une trentaine d’hommes chacune, et si faibles de bordage qu’il leur eût été impossible de résister à l’artillerie. Quelques-unes, garnies sur trois côtés d’une balustrade de planches et pontonnées, étaient destinées à transporter les chevaux et au besoin les pièces de canon. Elles étaient vides à l’heure présente, rangées en belle ordonnance, côte à côte, gardées par des sentinelles et servaient de reposoirs aux hirondelles qui rasent les eaux du lac. Quelques jeunes volontaires assis sur le rivage péchaient mélancoliquement à la ligne, et condamnaient ainsi leur chemise rouge à des occupations pacifiques qu’elle n’avait certainement pas prévues.

Dans la plaine plantée de figuiers entrelacés de vignes, nos volontaires avaient établi leur campement ; des cabanes en paille, des gourbis de feuillages, des couvertures suspendues aux branches en guise de tentes, leur servaient d’abri contre les dangereuses ardeurs d’un soleil caniculaire. « Pendant le mois brûlant de Sravana, disent