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leur influence dans les villes du Danemark, comme en Suède et en Norvège. Ce fut le premier épisode de cette histoire. La réforme vint ensuite ; elle fut apportée d’Allemagne en Danemark en 1536, et renversa un clergé national et indépendant pour y substituer un clergé fonctionnaire et étranger. Les rois eux-mêmes étaient souvent d’origine ou tout au moins d’éducation allemande. La maison royale d’Oldenbourg, la même qui règne encore aujourd’hui, mais qui va bientôt s’éteindre, était, comme l’indique son nom, allemande d’origine, et ne tenait aux anciens rois du pays que par la descendance féminine. À peine la branche aînée était-elle devenue danoise, que la révolution de 1523 et la chute de Christian II avaient appelé la branche cadette, avec la nécessité de recommencer l’œuvre. La révolution de 1660, qui rendit sous Frédéric III la royauté toute-puissante, vingt ans seulement avant que le même changement s’opérât en Suède, et à l’époque même où un pareil système devenait la loi politique de la France, ne seconda que trop parfaitement l’impulsion qui entraînait le Danemark vers la perte de sa nationalité. En effet cette révolution, en ruinant l’ancienne aristocratie, privait encore le Danemark d’un de ses éléments de résistance et de force intérieure. La noblesse avait été pendant plus de deux siècles le soutien réel de l’état ; elle avait été riche, elle avait possédé la plus grande partie du sol, pendant que la masse des paysans était réduite au seul usufruit des terres, accablée de corvées et d’impôts, et dans quelques provinces soumise même au servage. Cette noblesse s’était montrée à la hauteur de son devoir ; elle avait protégé les sciences et produit des jurisconsultes habiles : l’astronome Tycho-Brahé et l’historien Arild Hvitfeld étaient sortis de son sein. Elle était rompue aux affaires de l’administration et avait donné de véritables hommes d’état ; pendant la minorité de Christian IV, elle avait bien gouverné, et le dernier représentant de sa grandeur, Corfitz Ulfelt, bien que son ambition excessive l’eût finalement entraîné dans les intrigues et dans la trahison même, avait fait preuve d’une personnalité imposante et digne. Enfin cette noblesse avait donné au Danemark, par Peter Skram, Herluf Trolle, Frantz Brokenhuus, Daniel Rantzau, celui-ci né holsteinois, l’éclat de la grandeur militaire[1]. Malheureusement le vice inné de toute oligarchie

  1. Les deux derniers se sont distingués à la tête des armées danoises dans les guerres contre la Suède et contre les villes hanséatiques, au milieu du XVIe siècle. Les amiraux Trolle et Skram s’illustrèrent dans les mêmes guerres. Skram s’était fait donner par son audace le surnom de Risque son cou. Trolle a fondé avec les revenus de ses immenses domaines au sud de la Sélande une académie qui subsiste encore comme gymnase. Corfitz Ulfelt, gendre de Christian IV et beau-frère de Frédéric III, avait failli renverser la maison d’Oldenbourg au profit de Charles-Gustave de Suède. — La gloire d’Arild Hvitfeld est toute littéraire. Sa Chronique du royaume de Danemark, écrite à la fin du XVIe siècle, en danois, à un point de vue tout aristocratique, est d’une extrême importance pour l’histoire politique et pour la connaissance du droit public.