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américain cite quelques faits d’autant plus dignes d’un examen détaillé qu’ils ont été acceptés par certains polygénistes d’Europe avec toute la signification qu’a cherché à leur donner l’auteur américain. Parlons d’abord du croisement de l’Européen avec l’habitant de la Nouvelle-Hollande.

Nott reproduit textuellement le passage suivant, emprunté à l’ouvrage de M. Jacquinot, polygéniste très décidé : « Les quelques tribus qui se trouvaient aux environs de Port-Jackson vont chaque jour en décroissant, et c’est à peine si l’on cite quelques rares métis d’Australien et d’Européen. Cette absence de métis entre deux peuples vivant en contact sur la même terre prouve bien incontestablement la différence des espèces[1]. » Voilà un témoignage bien précis, et, venant d’un voyageur qui semble ne présenter ici que ses observations personnelles, il doit paraître d’un grand poids ; mais M. Jacquinot nous apprend un peu plus loin à quoi se réduisent ces observations. Ici, nous reproduirons à notre tour quelques passages dont ne parlent ni Nott ni les autres polygénistes qui ont adopté ses opinions. « Nous n’avons visité les habitans de la Nouvelle-Hollande, dit M. Jacquinot, que sur un seul point, à la baie Raffles, par 9 degrés environ de latitude sud ; mais la description que nous allons en donner peut se rapporter à tous les habitans de la Nouvelle-Hollande en général, car ils sont partout identiques[2]… Nous vîmes à la baie Raffles une vingtaine d’hommes environ… Nous n’aperçûmes pas leurs femmes, ils les tenaient cachées avec soin. » C’est donc sur la vue de vingt hommes seulement que M. Jacquinot a jugé de la population d’une île grande à peu près comme toute la portion de l’Afrique placée au sud de l’équateur ! C’est d’après cet échantillon qu’il affirme l’absence à peu près complète de métis et la différence des espèces ! A son tour, le lecteur jugera.

Il est très vrai toutefois qu’autour des premières colonies australiennes les métis ne pouvaient être nombreux. On sait comment furent fondées ces colonies et quels en turent les premiers habitans. Le rebut de la société anglaise venait chercher en Australie du sol à cultiver, des herbages pour ses troupeaux. Dès qu’il eut dépassé la zone exclusivement littorale, il se trouva en présence d’une population que la nature des productions du sol condamnait à vivre exclusivement de chasse, et qu’il fallut déposséder. On sait comment se fit cette conquête : les Australiens furent détruits par le fer et le feu ; on chassa

  1. Considérations générales sur l’anthropologie, suivies d’Observations sur les races humaines de l’Amérique méridionale et de l’Océanie, par M. Honoré Jacquinot. Cet ouvrage fait partie du Voyage au pôle sud de Dumont d’Urville.
  2. Un peu plus loin, l’auteur ajoute : « Décrire une de ces tribus, c’est les décrire toutes. » Nous avons déjà vu ce qu’il fallait penser de cette prétendue identité.