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de cette population ; remarquons toutefois que le navigateur anglais en fut très vivement frappé, et que ce fait répond à l’assertion des auteurs qui, sans tenir compte des circonstances au milieu desquelles prennent naissance les races mixtes, regardent le croisement comme étant par lui-même une cause de démoralisation. Beechey représente en outre les Pitcairniens comme remarquables par leurs belles proportions, par une force musculaire et une agilité extraordinaires, par une santé qui ne s’altérait guère qu’à la suite des communications avec les équipages, par une intelligence vive, prompte, et un désir ardent d’instruction. Cette race croisée n’avait donc pas dégénéré. — Quant à sa fécondité, on en jugera par les chiffres suivans. En 1790, les colons, avons-nous vu, étaient au nombre de 30 ; ils étaient 66 lors de la visite du capitaine Beechey en 1825, et 189, savoir 96 hommes et 93 femmes, en 1856[1]. On ne trouve mentionnée d’autre adjonction que celle d’un seul individu homme, et en tout cas la proportion des deux sexes démontre suffisamment que d’autres adjonctions n’ont pu être nombreuses. Ainsi, dans une première période de trente-cinq ans, la population de Pitcairn avait plus que doublé malgré l’influence désastreuse exercée par la débauche sans frein à laquelle se livrèrent d’abord les révoltés de la Bounty, malgré les meurtres et les accidens qui, dans l’espace de trois années, avaient réduit a 14 le nombre des adultes. Dans une seconde période de trente et un ans, la population a presque triplé. Comment parler encore d’hybridation en présence de ces résultats ? Que pourraient faire Morton et Nott eux-mêmes, si ce n’est placer dans leur catégorie des espèces étroitement voisines (closely proximate) le vrai blanc et le Polynésien ? Mais aussi quel naturaliste, quel physiologiste hésitera à trouver dans les faits que nous venons d’exposer tous les caractères d’un simple métissage, et par conséquent la preuve que le Saxon et le Tahitien ne sont que les représentans de deux races d’une même espèce ?

Dans toutes les sciences, les observations en petit, les expériences de laboratoire, servent à se rendre compte des phénomènes que la nature présente sur une plus grande échelle. C’est en étudiant l’électricité dans un cabinet que Franklin comprit ce qu’était la foudre ;

  1. À cette époque, l’île ne pouvant plus suffire à l’entretien de cette population, un navire vint prendre tous ces descendans des révoltés de la Bounty pour les transporter d’abord à Tahiti, et plus tard à l’île Norfolk. Le chiffre que je cite a été donné par les journaux anglais et reproduit par quelques journaux français. M. de Blosseville ne compte que 170 individus demandant à venir remplacer dans l’île Norfolk les convicts qu’on y avait isolés à diverses reprises. On comprend sans peine que quelques Pictairniens se soient en effet laissé tenter par la civilisation de Tahiti, d’autant plus que d’après les détails donnés par M. de Blosseville, l’argent s’était déjà introduit à Pitcairn, et que l’ancienne égalité qui régnait encore en 1825 avait disparu.