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c’est par des résultats obtenus dans des tubes et des creusets que MM. Daubrée, Ebelmen, Durocher, ont expliqué la formation des minéraux qu’exploite l’industrie. On peut dire que ce qui s’est passé à Pitcairn constitue une expérience de même genre. Grâce à l’isolement et au petit nombre des élémens mis en jeu, on y trouve, dégagés de toute complication étrangère, les phénomènes fondamentaux du croisement entre races humaines, et il est bon de les signaler. Dans cette île ont été réunis, sous de bien tristes auspices, les représentans de deux groupes humains. Des matelots fuyant leurs compatriotes pour échapper aux lois de leur pays emmenaient avec eux des hommes qu’ils comptaient bien tenir en esclavage, des femmes à qui on ne peut donner le nom d’épouses ; mais une communauté, quelque restreinte qu’on la suppose, ne se fonde pas sur de pareilles bases. Les appétits désordonnés des blancs, un moment satisfaits, amènent promptement la révolte, le meurtre, presque l’anéantissement de la société naissante. Peu à peu, par lassitude d’abord, par raison ensuite, la paix renaît, l’ordre se rétablit, et la population augmente. Enfin, sous l’ascendant d’un de ces matelots, que les ans et l’expérience ont transformé, la petite société s’assied et s’organise de manière à frapper d’étonnement l’homme le plus civilisé. En fin de compte, la race métisse constituant à elle seule cette société est incontestablement supérieure au moins à la très grande majorité des élémens qui lui ont donné naissance.

Ce résultat est fait pour rassurer quiconque s’inquiète quelque peu de l’avenir de l’humanité. Les races métisses avaient fort peu attiré l’attention des anthropologistes du dernier siècle. Buffon, Blumenbach, n’en parlent guère qu’en passant, et seulement au point de vue physiologique. Prichard lui-même, qui écrivait au commencement de ce siècle, ne pouvait guère être amené à s’en préoccuper autrement ; mais en présence du mouvement de mélange chaque jour plus accéléré qui résulte des applications de la vapeur, il est impossible de ne pas se demander ce que deviendra l’espèce humaine quand ses races les plus extrêmes auront confondu leur sang, quand des continens entiers appartiendront aux descendans croisés des populations actuelles. Alors l’esprit se tourne avec anxiété vers les contrées où la fusion, commencée il y a trois siècles, est le plus avancée, et au premier abord le spectacle est attristant. De là ces sombres prévisions, ces doctrines désolantes qui ont trouvé dans M. de Gobineau un ardent interprète, que l’école américaine semble très disposée à adopter, et que nous avons combattues ici même[1].

  1. Histoire naturelle de l’homme, — Du Croisement des races humaines. — Revue du 1er mars 1857.