ne cherchant pas à se cacher, à douze yards tout au plus, que vois-je ?… la grosse panthère. Pendant que je cherchais encore à bien démêler sa tête, elle fond sur moi, rugissante. Je lui lâche ma balle en plein corps, et au moment où elle me sautait dessus, j’allais lui envoyer mon plomb dans la tête ; mais elle tenait déjà mon bras gauche et mon fusil, qui désormais ne pouvait plus me servir, même comme massue ; je réussis en revanche à le placer en travers dans la gueule de l’animal, dont les dents traversèrent en plus d’une place le bois de ce bâillon improvisé, qui ne l’empêchait pas de labourer de sa mâchoire supérieure mon bras et ma main. Ses griffes de derrière s’enfonçaient profondément dans ma cuisse gauche, et ce ne fut pas sa faute si je ne tombai pas à la renverse sous ses chocs répétés. Le shikaree, — qui aurait si bien pu me préserver en opposant la pointe de sa lance à l’élan de l’animal, — s’était jeté à quelques pas sur ma gauche, et au lieu de piquer bravement la panthère, il se bornait à la frapper de sa lance comme d’un bâton en criant à tue-tête, ce qui n’avançait guère les choses. Cependant à la longue elle s’élança sur lui, et en un clin d’œil lui enleva non-seulement sa lance et son turban, mais mon havre-sac et ma carabine-revolver. Je le vis, ainsi dépouillé, se sauver les bras en sang.
La panthère cependant s’était tranquillement accroupie à cinq pas devant moi, au milieu des dépouilles du shikaree. Ma seule chance, je le savais bien, était de la tenir fascinée sous mon regard, tandis que je m’écarterais d’elle à reculons. Par malheur, à mon premier pas en arrière, glissant sur le roc poli, je tombe dans un buisson épineux, les quatre fers en l’air, et parfaitement à la merci de l’animal que j’étais bien sûr de n’avoir pas mis hors de combat. La Providence me vint en aide ; la panthère, qui d’un seul bond serait tombée sur ma poitrine, ne tira aucun parti de ses avantages et me laissa me relever. Je reculai, la regardant toujours, jusqu’à l’endroit où mon cheval m’attendait avec les batteurs, à une quarantaine de pas environ. Là, je rechargeai avec une balle que je retrouvai par hasard, et du gros plomb, comme la première fois.
Sachant bien en quel imminent danger se trouve un homme blessé comme je l’étais, je tenais à voir, avant de mourir, la fin de l’affaire. Les morsures de mon bras saignaient à bouillons, les tendons de ma main gauche étaient déchirés ; j’avais cinq profondes entailles de griffes dans la cuisse. Le pauvre shikaree avait aussi un bras en fort mauvais état, et courait d’ailleurs un danger de plus que moi : si on ne tuait pas la panthère, une superstition du pays le condamnait à périr. J’obtins donc, non sans quelque peine, de l’homme qui tenait mon cheval, — il était armé d’un épieu à sanglier, — qu’il me prêtât assistance, et nous revînmes du côté de la panthère, que nous trouvâmes toujours accroupie, mais cette fois à quelques pas au-delà