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la percer de sa lance ; toutefois la crainte de blesser l’homme lui fit manquer l’animal féroce, qui s’enfuit, non sans avoir lancé un coup de griffe au cheval ; mais la panthère était blessée (c’était ce qui la rendait si furieuse), et l’atteinte ne fut pas des plus graves. Quant au barbier, que je fis soigner de mon mieux et transporter à Hingolee, on espérait le sauver ; mais au bout de huit jours la gangrène se mit dans ce bras si horriblement lacéré. Il mourut à l’hôpital.

— Et la panthère ?

— La panthère s’était échappée avec une ou deux balles dans le corps… Pensez-vous donc que cela n’arrive jamais ?

— Soit, repris-je un peu désappointé, mais ce n’est pas là ce que j’attendais… Vous m’avez dans votre exorde laissé entrevoir quelque chose de plus complet…

— Ah ! vous vous en souvenez… Allons donc, encore une histoire !… Les préceptes seront pour un autre jour. C’était à Simiriah, dans le district de Chindwarrah, et le 28 décembre 1858. On y faisait campagne, et la chère était médiocre. Nous sortîmes un matin du camp, moi et deux autres officiers, pour tirer quelques paons, le seul gibier qu’on nous promît aux environs. Je ne pris point ma grosse carabine ; je n’emmenai point mon shikaree, qui, ayant les pieds malades, demandait à rester au camp. Je n’emportai qu’un simple fusil de chasse, chargé à plomb, et ma petite carabine revolver. Arrivés à peine sur le terrain, un nilghay part devant nous. Je glisse une balle dans un de mes canons, et nous voilà bientôt éparpillés dans la plaine avec un shikaree, de village et trois paysans. Je m’engage dans un jungle montueux… À la lisière de ce vaste fourré, je tombe inopinément sur deux panthères, dont une énorme. Avant que j’eusse pu mettre pied à terre, elles rentrent dans le jungle et se mettent à gravir la colline. Je pousse mon cheval sur la hauteur. Je descends, et m’embusque sur le point où je supposais qu’elles viendraient aboutir. Mes trois batteurs reçoivent ordre de jeter des pierres dans les buissons d’alentour. Presque aussitôt débouche la plus petite des deux panthères, la queue haute et venant à moi. Quand elle fit halte tout à coup, je ne voyais guère que son cou et son épaule gauche ; je lui envoie une balle à douze yards ; elle tombe, morte en apparence. Pour plus de sûreté, je lui expédie dans le dos ma volée de gros plomb. À ma grande stupéfaction, elle se relève et descend la colline, donnant parfois du nez par terre. Je recharge mon arme, et, ne trouvant sur moi qu’une balle, un des canons resta garni de gros plomb. Au shikaree dont j’ai parlé, et qui était armé d’un pesant épieu, je donne l’ordre de me suivre pas à pas, et nous voilà sur les traces de la panthère blessée. Un des batteurs posté de manière à nous dominer me fait un signe, je suis du regard la direction de son doigt, et, assise entre deux buissons,