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— Mais ma garde toujours me suit et me précède.

« Reine, il ne t’est besoin de glaives ni de bras,
La victoire est en toi : fuis les regards des hommes ;
Oppose la candeur à l’amour, tu vivras,
Et de ton sommeil pur s’enfuiront les fantômes. »

 — Mais quel est cet amour que sans cesse tu nommes ?
Le grand vieillard sourit et dit avec bonté :
« Qu’entre l’amour et toi, ma fille, un mur s’élève,
Et nous verrons les jours de ta prospérité
Plus nombreux qu’à tes pieds les roses de ton rêve. »

 — Allez, et que ce jour dans les fêtes s’achève !

Amour, complice du tombeau,
Comment te dérober ma jeunesse et ma vie ?
La mort peut-elle être servie
Par un ministre au nom si beau ?
Qu’est-ce donc que l’amour ? — Vierge, tu le devines ;
Écoute l’instinct du désir.
O cœur, ô lèvres enfantines,
Soupirez-le, ce nom parfumé de plaisir,
Qu’aux lèvres des vieillards vous venez de saisir
Comme une fleur sur des ruines !


III.


— Ma reine, dit l’esclave en lui baisant la main,
Depuis longtemps déjà, quel souci te dévore ?
— C’est un mal passager qui s’en ira demain.

— Reine, verse tes maux dans ce cœur qui t’adore !
 — Que sais-je ? mon esprit suit un fatal chemin :
Ma paix, mon sang, ma vie en flammes s’évapore.

Suis-je donc en dehors de la commune loi,
Et ne connais-tu pas cette fièvre subite
Et cet abattement qui succède à l’émoi ?

Je suis sous le pouvoir d’un trouble qui m’habite ;
Quand vient l’accès du mal, la terre fuit sous moi ;
Comme un oiseau captif, ma poitrine palpite.

Nos jeux nouveaux, tes soins m’ont distraite d’abord,
J’ai cru le rêve affreux conjuré par le sage,
Le rêve est revenu ! Je m’abandonne au sort !…