libertés philosophiques du dernier siècle, les conclusions récentes de la géologie et de la cosmogonie, les hardiesses de l’exégèse allemande y sont en raccourci. Plusieurs choses y manquent, entre autres les polissonneries de Voltaire, le jargon nébuleux d’outre-Rhin et la grossièreté prosaïque de M. Comte ; à mon gré, la perte est petite. Attendez vingt ans, vous trouverez à Londres les idées de Paris et de Berlin. — Mais ce seront les idées de Paris et de Berlin : qu’avez-vous d’original ? — Stuart Mill. — Qu’est-ce que Stuart Mill ? — Un politique ; son petit écrit On Liberty est aussi bon que le Contrat social de votre Rousseau est mauvais. — C’est beaucoup dire. — Non, car Mill conclut aussi fortement à l’indépendance de l’individu que Rousseau au despotisme de l’état. — Soit, mais il n’y a pas là de quoi faire un philosophe ; qu’est-ce encore que votre Stuart Mill ? — Un économiste qui va au-delà de sa science et qui subordonne la production à l’homme, au lieu de subordonner l’homme à la production. — Soit, mais il n’y a pas là de quoi faire un philosophe ; qu’est-ce encore que votre Stuart Mill ? — Un logicien. — Bien ; mais de quelle école ? — De la sienne. Je vous ai dit qu’il est original. — Est-il hégélien ? — Oh ! pas du tout ; il aime trop les faits et les preuves. — Suit-il Port-Royal ? — Encore moins ; il sait trop bien les sciences modernes. — Imite-t-il Condillac ? — Non certes ; Condillac n’enseigne qu’à bien écrire. — Alors quels sont ses amis ? — Locke et M. Comte au premier rang, ensuite Hume et Newton. — Est-ce un systématique, un réformateur spéculatif ? — Il a trop d’esprit pour cela : il ne fait qu’ordonner les meilleures théories et expliquer les meilleures pratiques. Il ne se pose pas majestueusement en restaurateur de la science ; il ne déclare pas, comme vos Allemands, que son livre va ouvrir une nouvelle ère au genre humain. Il marche pas à pas, un peu lentement, et souvent terre à terre, à travers une multitude d’exemples. Il excelle à préciser une idée, à démêler un principe, à le retrouver sous une foule de cas différens, à réfuter, à distinguer, à argumenter. Il a la finesse, la patience, la méthode et la sagacité d’un légiste. — Très bien, voilà que vous me donnez raison d’avance : légiste, parent de Locke, de Newton, de Comte et de Hume, nous n’avons là que de la philosophie anglaise ; mais il n’importe. A-t-il atteint une grande conception d’ensemble ? — Oui. — A-t-il une idée personnelle et complète de la nature et de l’esprit ? — Oui. — A-t-il rassemblé les opérations et les découvertes de l’intelligence sous un principe unique qui leur donne à toutes un tour nouveau ? — Oui, seulement il faut démêler ce principe. — C’est votre affaire. — Mais je vais tomber dans les abstractions. — Il n’y a pas de mal. — Mais tout ce raisonnement serré sera comme une haie d’épines.
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