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assurée, la question d’une seconde ligne arrivant jusqu’à notre frontière a été écartée. Aujourd’hui le chemin d’Irun est hors de doute, et la question de la seconde ligne de jonction par les Alduides reparaît ; elle remplit les polémiques. Tous les intérêts et toutes les rivalités s’agitent. Les députations provinciales de l’Aragon, de la Navarre, de Barcelone réclament l’ouverture nouvelle. Les capitalistes intéressés dans le chemin de Saragosse à Pampelune offrent même de faire la ligne par les Alduides sans nulle subvention, tandis que le chemin du nord proprement dit défend naturellement ses intérêts en revendiquant le caractère exclusif de son privilège. C’est une question qui implique à coup sûr une multitude d’intérêts. Une concession nouvelle est-elle légale ? Le chemin est-il possible ? Offre-t-il des avantages ? L’Espagne le décidera ; mais, dans tous les cas, il y a une considération qui a joué, il y a deux ans, un rôle aussi étrange que décisif, et dont nous voudrions bien voir cette question débarrassée : c’est la susceptibilité jalouse de sentiment national qui a fait voir dans une nouvelle ligne de fer pratiquée à travers les Pyrénées un nouveau chemin d’invasion ouvert devant la France. Imagine-t-on ce qu’il y aurait de commode dans une invasion en chemin de fer par une ligne pratiquée à travers les gorges des Pyrénées et des tunnels dont une issue appartiendrait à l’Espagne ! C’est un argument auquel les Espagnols intelligens devraient bien renoncer.

Malheureusement il est de mode depuis quelque temps au-delà des Pyrénées de représenter la France comme roulant dans son esprit toute sorte de projets d’invasion et de conquête. Le moins qu’elle puisse faire, c’est de revendiquer un jour ou l’autre le nord de l’Espagne jusqu’à l’Èbre ! Les provinces basques sont évidemment destinées à être annexées à l’empire français ! Ce qu’il y a de curieux, c’est que ces choses sont écrites quelquefois dans des documens publics, dans des manifestes de partis ; elles alimentent des polémiques. Nous avons vu même des exhortations à se serrer les uns contre les autres, fût-ce sous l’épée du général O’Donnell, pour faire face à l’ennemi, — qui heureusement ne vient pas et qui ne viendra pas, parce qu’il n’y songe guère. Et ceux qui parlent ainsi ne voient pas que l’expression même de ces inquiétudes et de ces préoccupations est un sujet d’étrange ; étonnement en France, qu’ils s’inspirent de souvenirs qui ne sont plus de ce temps. Il est quelque chose de bien plus important que les invasions et les conquêtes, c’est une sérieuse et intelligente alliance entre les deux pays. Tout ce que nous voudrions dire, sans blesser nos amis les Espagnols, c’est qu’il ne faudrait pas qu’un pauvre chemin de fer souffrît d’une susceptibilité généreuse dans le fond sans doute, mais à coup sûr inopportune.

Le malheur est que la politique se mêle sous plus d’une forme quelquefois à toutes ces affaires d’industrie. Il y a de la politique dans les chemins de fer, et souvent aussi il y a des questions de chemins de fer dans la politique, témoin un épisode singulier qui est arrivé en Espagne il n’y a pas bien longtemps, qui a retenti dans le congrès de Madrid, et qui montre d’une façon assez curieuse quel rôle les chemins de fer peuvent jouer dans les