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mieux. Elle est assez grande, irrégulière, comme toutes les villes des Calabres, et fort commerçante ; elle doit même faire un négoce suivi avec nos ports de la Méditerranée, car en furetant au hasard je découvris un vice-consulat de France qui étalait orgueilleusement, au-dessus de sa porte, son écusson d’azur avec une aigle d’or. Le premier travail de la municipalité avait été de changer le nom des rues, et sur de larges pancartes, en grosses lettres tracées à la main, on pouvait lire : rue Garibaldi, rue Victor-Emmanuel, place de l’Indépendancv. Vers l’heure où le soleil se couche, j’allai sur une sorte de petite place qui domine la ville basse et la mer. Je pus alors me rendre compte de la situation de Palmi, qui est merveilleuse. Entre deux falaises hautes comme nos falaises de Normandie, non point chenues et désolées comme elles, mais boisées et toutes frissonnantes d’une verdure profonde, la ville s’assoit sur une colline qui s’abaisse presque subitement en glacis, et se prolonge dans la mer par une langue de terre longue, effilée, empanachée d’arbres touffus, où s’agitent quelques palmiers échevelés ; c’est un cap aigu, chargé de jardins et jeté au milieu des flots, qu’il divise en deux petits havres arrondis, où les bateaux trouvent un bon mouillage. Tout est végétation, végétation solide, violente, presque noire ; là, comme sur les côtes de la Phénicie, les lauriers-roses laissent volontiers glisser leurs racines jusqu’au-dessus des vagues, qui les mouillent en s’élançant. Tout le pays qui entoure Palmi a une vitalité que rien ne paraît pouvoir atteindre : par ses sources, il a trop d’humidité pour être jamais brûlé du soleil ; par son soleil, il amasse trop de chaleur pour être jamais terni à l’âpre souffle des nuits d’hiver ; en outre les brises vivifiantes de la Méditerranée lui apportent chaque jour une santé nouvelle.

En face de nous, à l’ouest, noyées déjà dans les brumes empourprées du soleil couchant, les îles d’Éole s’élèvent au-dessus des flots, précédées par la solfatare de Stromboli, qui incline dans le vent son panache d’éternelle fumée ; plus loin, du côté de l’Afrique, la Sicile échancre ses côtes, que domine la masse énorme de son volcan. L’Etna d’autrefois s’appelle aujourd’hui Mongibello, c’est un souvenir de la domination sarrazine. Voyant la hauteur de l’Etna, les Arabes l’ont appelé Djebel, c’est-à-dire la montagne, la montagne par excellence ; les Siciliens ont pris cette dénomination pour un nom ; ils ont italianisé le mot et en ont fait Gibello, Monte-Gibello, puis par corruption Mongibello ; le patois de Sicile renchérit et prononce Muncibeddu. La géographie des peuples souvent conquis est pleine de semblables pléonasmes, que l’usage consacre faute de réflexion.

Garibaldi était déjà loin de Palmi ; il en partait à l’heure où nous avions quitté Bagnara. Avant le jour, il s’était mis en route au galop,