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je ne suis pas morte avant d’avoir vu les Calabres enfin délivrées ! » Notre contenance était fort embarrassée, on le comprendra, et après quelques paroles vagues, nous alléguâmes notre fatigue, et nous nous retirâmes dans la chambre qu’on avait préparée pour nous. Nous y dormîmes après avoir fait un excellent déjeuner pendant lequel il nous fut impossible d’empêcher notre hôtesse, qui portait un titre et un nom assez retentissans, de nous servir elle-même.

La ville est bossue, elle est bâtie sur les gibbosités sans nombre de la montagne ; ses rues ont des pentes si aides, qu’on ne peut y marcher qu’à pied, le cheval y est dangereux et la voiture impossible. Maïda est purement orientale par ses ruelles étroites, ses basses habitations, ses détours infinis, et surtout par son inconcevable saleté. C’est un monceau d’immondices où s’élèvent quelques maisons. Il faut penser aux cités juives de Tabarieh et de Safeth pour retrouver le souvenir d’une si radicale incurie. Dans les rues, qui ressemblent à des escaliers dont les marches seraient descellées et bouleversées, des ordures de toute sorte, restes de la cuisine, restes de l’écurie, s’entassent sous l’incessant bourdonnement des mouches ; des chiens fauves, pelés, rogneux, ayant quelque ressemblance avec les chiens errans de Constantinople, s’en vont au hasard, cherchant pâture, et semblent vivre en bonne intelligence avec des bandes de porcs noirs qui fouillent du groin ce lit épais de fumier, s’y vautrent, y dorment, et s’en croient si bien les maîtres qu’ils chargent l’imprudent qui les dérange pour passer. Des enfans nus, vêtus seulement d’une écaille de crasse, courent à travers les chiens, les cochons et ces sanies immondes d’une ville entière. Devant les portes, les femmes, nonchalamment étendues, regardant le ciel, murmurant quelque refrain mélancolique, se font peigner par leurs compagnes, qui ne mettent pas plus de mystère à leur recherche que le jeune mendiant de Murillo.

En voyage, j’ai fait souvent une observation que je livre sans commentaires au lecteur. On peut affirmer qu’entre le degré de propreté d’une ville et la religion professée par ses habitans il y a corrélation intime. Plus une religion est matérialiste, plus ceux qui la pratiquent ont une tendance à l’abandon des soins les plus simples ; plus elle est spiritualiste, plus la propreté est en honneur chez ses adhérens. Le type principal de malpropreté est la religion juive, religion presque exclusivement matérialiste, circonscrite dans ses préceptes à la vie mortelle, ainsi que le prouvent les lois du Sinaï. Vient ensuite l’islamisme, qui impose, il est vrai, cinq ablutions par jour aux croyans, mais qui laisse les villes dans un état de telle négligence que sans les chiens, les milans, les percnoptères, qui sont