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langage n’est-il pas aussi explicite que possible ? N’est-il pas évident que ces races humaines ne sont autre chose que des espèces, et qu’il ne reste plus qu’à partager l’humanité en familles, en genres, comme on l’a fait pour les singes, qui ne diffèrent les uns des autres ni davantage, ni sous d’autres rapports ? Eh bien ! non. Agassiz déclare encore une fois qu’en dépit de toutes ces différences les hommes n’en sont pas moins de même espèce ; mais cette profession de foi, en contradiction absolue avec tout ce qui précède, ne peut évidemment enlever au travail de l’auteur sa signification essentiellement polygéniste. Or on vient de voir qu’envisagé à ce point de vue, le mémoire dont il s’agit n’échappe à aucun des reproches que l’on peut adresser aux autres travaux accomplis dans cette direction. Du moins, en se plaçant sur le terrain choisi par Agassiz, en acceptant pour un moment toutes ses idées, quelque contradictoires qu’elles soient, est-il possible de les faire concorder avec les résultats acquis à la science en dehors de toute préoccupation anthropologique ? Pas davantage ; c’est là ce que nous essaierons de prouver en abordant la question géographique.

Agassiz, avons-nous vu, a fondé sa théorie sur une application à l’homme de la doctrine des centres de création. Nous adoptons cette doctrine comme lui-même. En effet, quiconque se placera en dehors de toute considération étrangère à la science, quiconque s’en tiendra à ce qu’enseignent l’observation et l’expérience, reconnaîtra que les animaux et les plantes n’ont pu prendre naissance en un même point du globe. L’observation nous apprend que chaque grande région a ses espèces, ses genres, ses types particuliers, et l’expérience prouve chaque jour que certaines espèces peuvent être transportées d’une région dans l’autre, y vivre et y prospérer. Les conditions d’existence de leur nouvelle patrie leur conviennent donc, et si l’homme ne les y a pas rencontrées, c’est que jamais elles n’y avaient existé. — Pour expliquer la distribution actuelle des animaux en supposant un centre de création unique, il faut choisir entre deux hypothèses également insoutenables scientifiquement. Ou bien il faut admettre la transformation des espèces primitives et la formation d’espèces nouvelles sous l’empire des conditions actuelles, et Darwin lui-même ne va pas à beaucoup près jusque-là, ou bien il faut admettre l’extinction totale d’une multitude d’espèces qui auraient disparu entre le point de départ et le point d’arrivée, et la paléontologie contredit formellement cette idée. — Enfin la physiologie et l’expérience nous enseignent que les espèces polaires ne peuvent avoir vécu même momentanément à côté des espèces équatoriales, à plus forte raison pendant le temps nécessaire pour amener la séparation et le cantonnement de chacune d’elles.

Tout donc concourt à démontrer que les animaux ont apparu à