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l’archipel que nous venons de nommer[1]. Les faits deviennent plus frappans encore dès que l’on compare les animaux qui vivent dans l’air avec ceux qui vivent dans l’eau, ou même ces derniers seulement entre eux lorsque deux mers différentes sont séparées par une petite étendue de terre. À l’isthme de Suez, les faunes aériennes sont à peu près identiques sur les côtes de la Mer-Rouge et de la Méditerranée ; les faunes marines sont au contraire extrêmement dissemblables sur les rivages opposés : M. Edwards n’a pas trouvé un seul crustacé qui fût commun à l’un et à l’autre. Ainsi jugée par les faits empruntés aux animaux seuls, l’idée fondamentale de la doctrine d’Agassiz est contredite par les résultats de l’observation. Voyons ce qu’elle devient dans ses applications à l’histoire de l’homme.

Parmi les faits généraux le plus universellement admis en géographie zoologique, faits qu’Agassiz lui-même rappelle dans son travail, se trouvent les deux suivans : — tous les grands centres de création sont caractérisés par certains types, comprenant un nombre d’espèces, de genres plus ou moins considérable, types qui leur sont propres ou sont à peine représentés ailleurs. Ainsi la Nouvelle-Hollande est essentiellement la patrie des marsupiaux, l’Amérique celle des édentés[2]. — Entre deux centres de création vraiment distincts, il n’y a que peu ou point de genres communs, encore moins d’espèces communes, et ces différences caractéristiques s’accusent de plus en plus à mesure que l’on considère des groupes plus élevés. Ainsi, en prenant l’ancien et le nouveau continent tout entiers, on a évidemment les deux régions zoologiques les plus étendues qu’il soit possible de comparer. Or ces deux régions ne possèdent en commun que cinq ou six genres et qu’une seule espèce de chauve-souris ; pas un seul genre, à plus forte raison pas une seule espèce de singes ne se rencontre à la fois dans l’une et dans l’autre. La Nouvelle-Hollande forme avec ces deux régions un contraste encore plus tranché.

On n’en trouve pas moins des hommes en Amérique ou en Australie, comme en Asie, en Afrique ou en Europe. Ces hommes, d’après les polygénistes, forment un genre composé de plusieurs espèces. S cette opinion était fondée, il s’ensuivrait que le genre, ou mieux le type le plus profondément caractérisé, se serait produit dans tous les centres de création, au lieu d’en caractériser un seul comme le font les édentés et les marsupiaux. D’après Agassiz, l’homme ne

  1. Ce résultat est d’autant plus significatif que M. Lacordaire multiplie beaucoup plus qu’Agassiz les régions zoologiques.
  2. Les marsupiaux sont des mammifères dont les petits viennent au monde dans un état encore imparfait et sont reçus d’abord dans une poche extérieure placée sous le ventre, où la mère les tient à l’abri jusqu’à ce qu’ils aient achevé de se développer. Les édentés doivent leur nom à l’absence de dents incisives. Ces deux groupes, le premier surtout, sont on ne peut plus caractéristiques.